Violette Nozière, l'égérie noire des années 30
Par Virginie Ikky,
Le 9 février 2011
Victime du patriarcat ou jeune dépravée, l'affaire Violette Nozière, dans le Paris des années 1930, va passionner la France et révéler ses fractures. Les uns, dont François Mauriac, seront convaincus que l'empoisonneuse est une « sorcière de la débauche ». Les autres tels les surréalistes feront de la jeune parricide une égérie de la jeunesse en révolte. Elle deviendra leur « ange noir ».
Violette Nozière naît le 11 janvier 1915 à Neuvy-sur-Loire. Elle est la fille unique et gâtée de Jean-Baptiste Nozière, cheminot, et de Germaine. Le couple habite à Paris. Violette va passer toute sa jeunesse dans un simple deux-pièces cuisine, au sixième étage sur cour, où la promiscuité des lieux ne laisse que peu de place à l’intimité. Le climat familial devient pour Violette trop étouffant. Bonne élève, Violette obtient le certificat d'études et part étudier au lycée Fénélon, dans le fameux quartier latin. Le début d'une nouvelle vie plus exaltante pour la jeune fille qui va vite privilégier les cafés et les garçons à ses études.
Violette s'invente des parents nobles et a manifestement honte de ses origines. Elle confie à ses camarades, ses tourments : que son père « oubliait qu’il était son père », ou « sa conduite trop particulière envers elle » et qu’il était jaloux de ses fréquentations. En 1932, Violette apprend après plusieurs consultations à Bichat qu’elle souffre de la syphilis, une maladie sexuellement transmissible qui fut mortelle jusqu'à la découverte des antibiotiques. Violette rend ses parents responsables de cette maladie contagieuse et leur disant qu'elle est héréditaire. Elle est en effet bien obligée de leur dire qu'elle est malade pour se soigner. Mais les parents, s'ils croient un temps leur chère petite fille, ont de plus en plus de doutes, malgré les talents de comédienne de Violette. Elle tente une première fois de les empoisonner sans succès. Puis, Violette tombe amoureuse d'un mauvais garçon, Jean Dabin, qu'elle entretient en volant ses parents. L'issue fatale devient inéluctable car les parents ont de plus de plus de soupçons. Les tuer lui permettra de vivre avec Jean tout en héritant.
Le 21 août 1933, elle administre des somnifères à ses parents et ouvre le gaz dans l’appartement, afin de faire croire à une tentative de suicide. Sa mère a pu être réanimée, mais son père est mort. Le 28 août 1933, Violette Nozière est arrêtée par la police. Aussitôt, la presse s'empare de l’affaire, qui fait la « une » des quotidiens. L'engouement autour de Violette Nozière va dépasser l'entendement. Le mobile de son crime déconcerte.
L’enquête établit que Jean Dabin recevait fréquemment de Violette Nozière, des sommes d’argent assez importantes. Violette se prostituait également occasionnellement pour se procurer de l'argent. Une surenchère d’informations les plus diverses sont publiées : sur la fuite de Violette, les révélations de Violette sur son père, la confrontation entre la mère et la fille qui tourne au drame, le rôle de son amant, les liaisons de Violette ...La foule se déplace en masse sur le passage de Violette lors des convocations d'Edmond Lanoire, juge d'instruction, des confrontations qui s’en suivent, devant la prison de la petite roquette où Violette est détenue. Les chansonniers prennent le relais. L’opinion publique se divise en deux camps et s’enflamme pour l’affaire Violette Nozière.
L’affaire précisément prend une nouvelle dimension, avec un commissaire de renom : Marcel Guillaume. Le commissaire divisionnaire du 36, est connu pour s’être occupé des crimes de Landru, la bande à Bonnot et l’assassinat du président de la république Doumer. Si le juge d’instruction Edmond Lanoire charge ce haut personnage de mener les investigations sur Violette Nozière, c’est que l’affaire est jugée sérieuse, digne des plus grands criminels. Enfin, Violette aura pour avocats, Maître Henri Géraud, un ténor du barreau, qui a défendu Raoul Villain, l'assassin de Jaudès. Le second avocat de Violette, est Maître René de Vésinne-Larue, licencié ès sciences, diplômé d'astronomie et de l’Institut des sciences politiques.
Le 6 septembre 1933, dans le cabinet du juge, Violette Nozière affirme que son père était incestueux : Baptiste Nozière, aurait abusé d’elle depuis ses douze ans. Elle a aussi voulu tuer sa mère, qui durant des années persistait à ne rien voir et ne rien entendre. En lui donnant la mort, Violette a voulu épargner à sa mère la honte, la culpabilité et les remords.
La droite fustige en Violette, une jeunesse d’après-guerre dévoyée, fait appel à l’ordre moral et au retour des valeurs. L’accusation d’inceste dérange. Ce sujet soulève la polémique chez les défenseurs de l’institution familiale. Violette Nozière est-elle victime de sa famille ou sa famille en est-elle victime ? Les spécialistes donnent dans la presse, leur interprétation des faits. Dans L’Intransigeant, le docteur Heuyer, peu enclin à l'indulgence envers les femmes, écarte aussi l’idée d’inceste de peur que de telles accusations se multiplient. Par contre, le commissaire Guillaume à la suite de ses recherches, est enclin à croire Violette Nozière sur cette question. Il sera rejoint par d’autres défenseurs de Violette, et des plus inattendus.
La gauche fait de Violette, un symbole de la lutte contre la société et ses dérives. Les surréalistes prennent la défense de Violette qui devient leur muse. Aragon signe en 1933 une chronique dans l'Humanité où il la présente comme une victime du patriarcat. L’inceste, sujet tabou dans une société masculine, permet à Paul Elaurd d’écrire un poème qui restera dans les mémoires.
Le 10 octobre 1934 s’ouvre à Paris le procès de Violette Nozière, devant la Cour d'Assises Sa mère, bien que s’étant constituée partie civile, finit par pardonner à sa fille et implora même le jury : « Pitié, pitié pour mon enfant ! ». Sa liaison avec Jean Dabin ne lui attire pas la sympathie des jurés. Selon l'accusation, elle n’aurait agi ainsi que pour avoir les 165 000 francs économisés par ses parents, parents qu’elle avait déjà commencé à voler auparavant, dans le but de continuer à entretenir son amant.
Violette Nozière est condamnée à la peine de mort, pour parricide et empoisonnement, le 12 octobre 1934. La peine capitale est symbolique puisque à l’époque, on ne guillotinait plus les femmes. Le pourvoi est rejeté le 6 décembre 1934. Maître de Vésinne-Larue demande alors, un recours en grâce auprès du président de la République. Le président Lebrun accorda la grâce qui commue la peine de mort prononcée contre Violette, en celle des travaux forcés à perpétuité le 24 décembre 1934.
Le commissaire Guillaume, qui dirige la brigade criminelle, a exprimé son malaise à l’énoncé du verdict : « Durant les longues journées du procès, je restais dans les couloirs du palais de justice, prêt à déposer, à faire partager par ces hommes qui avaient la mission sacrée de juger un être humain, ma conviction que Violette m’avait paru sincère, et j’aurais voulu pouvoir leur dire aussi que nous devions nous montrer d’autant plus indulgents que nous n’avions pas toujours fait notre devoir vis-à-vis de ces enfants perdus, que nous n’avions pas su proposer un idéal à leur jeunesse, que nous n’avions pas cessé devant eux, selon le mot d'un éducateur : De rabaisser nos devoirs au lieu de les leur offrir comme un privilège et, les laissant à leur solitude, à leurs tentations, à leur inconscience, nous n’avions pas su, parents égoïstes ou imprudents, leur tendre fraternellement la main, les serrer affectueusement contre notre cœur. Mais je n’eus pas à dire tout cela : la défense elle-même ne me fit pas appeler et il y eut un numéro de plus parmi les recluses de la Maison centrale de Haguenau ».
Violette Nozière a une conduite exemplaire en prison. Grâce à une intervention de l’Église, le maréchal Pétain réduit sa peine à 12 ans de travaux forcés à compter de la date de son incarcération en 1933, par un décret du 6 août 1942. Violette retrouve donc la liberté, le 29 août 1945. Le 15 novembre de cette même année, le général De Gaulle lève même son interdiction de séjour sur la majeure partie du territoire français.
Par la suite, Violette Nozière épouse Pierre Garnier, le fils du greffier comptable de la maison d'arrêt de Rennes où elle avait été emprisonnée. Elle reprend goût à la vie, se réconcilie avec sa mère et a même cinq enfants auxquels elle ne parla jamais de son passé. Pierre et Violette vont gérer des restaurants en région parisienne, puis en Normandie. Un nouveau drame survient dans la famille. En juillet 1960, Pierre a un accident de voiture dans les environs de Rouen. Après de multiples séjours en clinique et une ultime opération à Paris, Pierre décédera des suites de cet accident, le 30 juin 1961.
Le 13 mars 1963, Violette est réhabilitée par la cour d'appel de Rouen et retrouve donc le plein exercice de ses droits civiques et un casier judiciaire de nouveau vierge. Cette mesure est exceptionnelle dans l’histoire judiciaire française. Grâce à l’opiniâtreté de Maître de Vésinne-Larue, de la fidélité de l’avocat à sa cliente, c'est l’aboutissement de trente années de combat et qui récompense de façon exemplaire, la réinsertion réussie de Violette Nozière.
Violette déclare : « Cette réhabilitation, j’y tenais pour mes enfants. Pour moi, ça m’était bien égal. Ma vie est finie. Je suis heureuse que ma mère, à qui j’ai tout dit, ait enfin compris la vérité. Elle sait que j’étais innocente - malgré ce que j’avais fait - et m’a pardonnée ». Atteinte d’un cancer des os, Violette meurt, le 26 novembre en son domicile au 14 avenue des Canadiens au Petit-Quevilly, en paix avec elle-même et les siens.
Son histoire a servi de trame au film Violette Nozière , réalisé par Claude Chabrol, sorti sur les écrans en 1978. Son rôle est incarné par Isabelle Huppert. Le scénario s’inspire du roman de Jean-Marie Fitère.
Virginie IKKY pour Greffier Noir
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