Le Greffier Noir, enquêtes et faits divers.

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Pauline DUBUISSON, l'inspiratrice du film "la vérité" de Clouzot

 Par Virginie IKKY,

le 11 février 2009

 

 

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En 1960 sort le film "la vérité" d'Henri-Georges Clouzot, avec Brigitte Bardot dans le rôle titre. Elle y joue Dominique Marceau, une jeune femme oisive, profiteuse et sexuellement libérée qui fait tourner la tête à un brillant jeune chef d'orchestre. Lorsqu'il la quitte, lassé de ses infidélités, elle le tue et tente de se suicider dans la foulée. Le film raconte son procès, aussi bien le procès du crime que le procès des mœurs de l'accusée. Henri-Georges Clouzot a puisé son inspiration dans un faits divers réel, celui de Pauline Dubuisson, mais a malheureusement travesti la vérité du personnage. Autant la Dominique Marceau du film est exaspérante, autant la vraie Pauline Dubuisson apparaît comme un sujet passionnant, certainement une des femmes criminelles à la personnalité la plus complexe. Et qui a eu un traitement médiatique puis cinématographique injuste, malgré son crime.

 

Car le réalisateur a passé sous silence ce qu'a subi Pauline Dubuisson à la libération de la ville de Dunkerque, au sortir de la seconde guerre mondiale, quand les épurateurs faisaient la chasse aux femmes ayant eu des relations interdites avec les allemands.

 

6a00e5517d7b728833014e89654092970d.jpgC'est sans doute parce que l'heure est à la réconciliation nationale quand sort le film en 1960 que Clouzot a pris des libertés avec "la vérité" justement. Lui-même a d'ailleurs fait partie des mauvais français de l'après-guerre, car il avait collaboré à la compagnie cinématographique de l'occupant, la continentale, en rédigeant le scénario des "inconnus dans la maison" et en réalisant "le corbeau". Cela lui a valu 3 ans de purgatoire, 3 ans avant de pouvoir réaliser un nouveau film "quai des orfèvres" en 1947. Relater fidèlement l'histoire de Pauline Dubuisson obligeait à se salir les mains dans les pires heures de l'histoire française, et Clouzot n'a malheureusement pas eu ce courage. Les plaies de la seconde guerre mondiale, la défaite de 40, la collaboration et l'épuration, sont dans les années 60 des sujets à ne pas aborder. Faut-il y voir un double sens dans le titre du film, "la vérité" ? Est-ce un titre ironique ou un message aux spectateurs pour qu'ils cherchent la vérité sur l'histoire de Pauline Dubuisson ?

 

Le 28 octobre 1953, à la prison La petite roquette, la religieuse fait sa ronde et regarde par le judas l'intérieur de la cellule de Pauline Dubuisson, la meurtrière d'un étudiant en médecine, Félix Bailly. La détenue semble dormir mais elle s'est en fait ouvert les veines du poignet alors que son procès d'assises est en cours. Elle a rédigé une lettre pour le Président de la Cour et une pour son avocat.

 

Extrait de sa lettre lue à l'audience du lendemain : " Que M. et Mme BAILLY me pardonnent s'ils le peuvent, qu'ils aient pitié de maman. Pardon pour tout le mal que j'ai fait. Vous pouvez dire aussi que je regrette infiniment d'avoir tué Félix et aussi que je ne veux pas me soumettre à une justice manquant à ce point de dignité. Je ne refuse pas d'être jugée, mais je refuse de me donner en spectacle à cette foule qui me rappelle très exactement les foules de la révolution. Il m'aurait fallu le huis-clos. Je suis ravie de jouer ce tour à ceux qui s'occupent de mettre le décor en place."

 

"Les foules de la révolution", une référence que le public et les juges ne peuvent comprendre, et qui renvoie à un passé douloureux que Pauline dissimule....

 

Pour l'avocat général Lindon, la tentative de suicide de l'accusée n'est qu'un simulacre. Pour le Président de la Cour d'Assises, ce n'est qu'un exemple du caractère de l'accusée : orgueilleuse, comédienne et exclusive. L'avocat de Pauline s'insurge et jure de la sincérité de sa cliente.

 

Cette anecdote fait évidemment écho à la scène finale du film "la vérité". Sauf que Pauline Dubuisson est vivante lorsque le film sort sur les écrans 7 ans plus tard, en 1960, et que son existence a peu à voir avec la Dominique du film. Henri-Georges Clouzot a cependant parfaitement restitué l'atmosphère du procès, irrespirable pour l'accusée, qui avait le tort d'être une forte tête, aussi bien intellectuellement que dans ses rapports avec la gent masculine.

                            

A l'époque en effet, on en est encore à juger les femmes criminelles tels de pauvres petits êtres irresponsables de leurs actes. L'écrasante majorité des crimes concernent les maris ou les amants, des meurtres passionnels que le professeur Heuyer, célèbre psychiatre de l'époque, explique alors en reliant les hormones féminins au passage à l'acte : Les femmes tuent au gré des cycles menstruels qui causent en elles des perturbations caractérielles, et ne sont jamais que de pauvres victimes des hommes et de leur condition physiologique de "sexe faible." Sauf que Pauline ne joue pas à la victime lors de son procès et défie les vieux magistrats de la Cour d'Assises. Son caractère affirmé est une circonstance aggravante, et lui vaudra une condamnation très sévère.

 

Pauline-Dubuisson.jpgNée en 1927 dans une famille bourgeoise, douée pour les études scientifiques mais dévergondée pour l'époque (on l'avait aperçue avec un marin allemand dans un square à 14 ans), Pauline Dubuisson s'engage à 17 ans, en 1944, à l'hôpital allemand de DUNKERQUE pour faire des études de médecine une fois la guerre terminée. Jeune, on la dit opiniâtre et orgueilleuse. Elle aggrave son cas en devenant la maîtresse du médecin-chef de l'établissement, le colonel allemand Von Dominik, trois fois plus âgé qu'elle.

 

A la libération, Pauline Dubuisson, malgré son jeune âge, est arrachée à sa famille lorsqu'un jour des commandos arrivent sirène hurlante devant son domicile. La mise en scène de ces commandos est étudiée pour rameuter la populace. Ils traversent la ville en convoi de plusieurs voitures, faisant le maximum de bruit pour alerter les habitants. Pas question de leur résister. Aux rafles de juifs, succèdent les rafles de femmes. Elle est alors conduite en place publique sous les insultes et les crachats, tondue, déshabillée, et couverte de croix gammées. Elle subit ensuite un viol collectif au QG des épurateurs avant de comparaître au cours d'un simulacre de procès devant un tribunal du peuple qui la condamne au peloton d'exécution. Son père, André Dubuisson, gradé colonel, parvient à la libérer de justesse, mais le père et la fille doivent quitter Dunkerque sous peine qu'on ne vienne reprendre Pauline. Elle part à St Omer et tente de se suicider le soir-même. Ce passé terrible aura évidemment des conséquences sur son caractère particulier, à la fois fort, hautain, mais aussi très enclin au pessimisme et au cynisme. Pauline ne croit pas à la bonté de la nature humaine  ni au grand amour, et traitera les hommes comme ils l'ont traitée, plus bas que terre..

 

 épurationLongtemps, Pauline sera poursuivie par ce passé, les cheveux mettant du temps à repousser. On lui refuse un stage à l'hôpital de Dunkerque au cours de ses études de médecine à cause de son comportement pendant la guerre. Par ailleurs, son père a lui aussi une étiquette de collabo car il a été forcé de collaborer avec les allemands par son entreprise de travaux publics.

 

Elle part à Lyon étudier et passer son P.C.B. (certificat de physique-chimie-biologie, diplôme préalable à l'entrée en médecine) puis revient à Lille faire médecine. Elle a de nombreux amants et note dans son journal intime toutes ses aventures. Elle rencontre à la faculté de médecine Félix Bailly, étudiant en 3ème année, jeune homme bien sous tous rapports, et devient sa maîtresse. Il lui propose en vain le mariage qu'elle refuse. Il lui propose encore lorsque l'un de ses rivaux vient le supplier de lui laisser Pauline, car celle-ci n'est pas fidèle. Félix pense ainsi l'assagir. Mais Pauline n'en a que faire et l'humilie dès qu'elle en a  l'occasion.

 

Lassé, il signifie à la rentrée de 1949 à Pauline que tout est fini entre eux. C'est alors que Pauline dit qu'elle s'est aperçue de son erreur, qu'elle aurait dû accepter la demande en mariage. En outre, elle avait échoué à ses examens, quand Félix les avait brillamment réussis. Félix part étudier à Paris, Pauline s'étourdit en entretenant une liaison à distance avec un ingénieur rencontré en Autriche.

 

Au mois d'octobre 1950, Pauline apprend que Félix s'est fiancé. Elle s'aperçoit qu'elle est amoureuse de lui et part à Paris pour le reconquérir. C'est alors que les versions divergeront au procès. Pauline affirme en effet avoir passé la nuit avec lui, et qu'au matin, celui-ci lui aurait dit n'avoir couché avec elle que par vengeance des humiliations passées. A l'audience, les parties civiles diront que Félix était incapable d'une telle muflerie.

 

Pauline Dubuisson obtient alors un permis de détention d'arme et achète un pistolet 6,35. Elle repart à Paris et laisse un testament. La voyant partir et ayant aperçu le pistolet, sa logeuse entre dans la chambre de la jeune femme et trouve le testament. Elle télégraphie un mot d'avertissement à Félix Bailly, ainsi qu'aux parents de Félix. Félix est prévenu, il dort à l'hôtel ou chez des amis pendant que Pauline le guette. Mais elle finit par le surprendre et tire sur Félix par trois fois, alors qu'il tente de lui arracher son arme. Elle tente de retourner l'arme contre elle mais elle s'enraye. Elle ouvre alors le gaz mais est secourue à temps. Le père de Pauline, lui, ne se rate pas : on le retrouve suicidé au gaz, le jour où il apprend ce qu'a fait sa fille.

 

En prison, Pauline, à la personnalité si décriée au dehors, est unanimement appréciée des détenues et des religieuses. Elle se lie d'amitié avec Sylviane, qu'elle surnomme sapho en raison de ses préférences pour les femmes. Pauline tient la bibliothèque et donne des cours. Elle sera tout du long de sa détention une détenue modèle.

 

Le procès d'assises met aux prises deux versions, celle de la bourgeoise dissolue, orgueilleuse et offensée, et celle de la jeune femme égarée par le chagrin. Les viols qu'elle a subis à la libération ne sont pas évoqués lors des débats. Seul son père était au courant et Pauline n'en parle pas. La peine de mort est requise à son encontre alors que les crimes passionnels attirent normalement plus de clémence. Après la suspension d'un mois, le temps que Pauline Dubuisson récupère de sa tentative de suicide, elle est condamnée en une demi-heure par la Cour d'Assises à la réclusion perpétuelle.

                       

détective pauline dubuissonPauline Dubuisson est libérée pour bonne conduite en 1959 et change de prénom. Elle s'appelle Andrée, en hommage à son père sans doute. Elle reprend ses études de médecine à Paris en espérant se faire oublier. Mais la sortie du film de Clouzot bouleverse ses plans et elle est obligée de s'exiler. En 1962, elle obtient un poste d'interne à ESSAOUIRA au Maroc. La vie est rude sur place. Pauline est un médecin apprécié et vit entourée d'une grande ménagerie d'animaux. En juin 1963, Andrée commence à fréquenter un ingénieur pétrolier, et tout le monde s'attend au mariage. Andrée est cependant obligée de révéler son secret, et le mariage est annulé par le futur mari. Brusquement, Andrée devient hagarde, abandonne son service et s'enferme chez elle. Elle se suicide et meurt quelques jours plus tard. Selon ses vœux, elle est enterrée à même la terre dans une tombe anonyme au Maroc.

 

Cet article du Monde 27 octobre 1953 est intéressant en ce que l'auteur a bien perçu que Pauline Dubuisson dissimulait certainement quelque secret :

 "Si l'on en croit l'acte d'accusation, le crime reproché à Pauline Dubuisson, qui comparaît demain mardi devant la cour d'assises de la Seine, n'est pas l'acte irréfléchi d'une femme jalouse : il faudrait y voir une savante prémédita­tion. Décortiqué, analysé par une longue instruction, le fait divers du 17 mars 1951 est devenu aujourd'hui l'inquiétante histoire d'une jeune fille au caractère insaisissable qui au­rait tué par orgueil, par égoïsme ou égocentrisme bien plus que par dépit amoureux. À la veille des débats on voit donc en elle une fille amorale, éprise d'aventures, une calculatrice dont on ne compte plus les amants. Son mobile aussi déconcerte, si bien que l'accusation ne semble pas être parvenue à le cerner d'une façon précise. Mais dans quelle mesure ce personnage reconstitué au hasard des cotes d'un dossier correspond-il à la véritable Pauline Dubuisson ? Le déroulement de l'audience permettra-t-il d'y apporter quel­ques retouches ? Fera-t-il apparaître une créature plus humaine, plus sensible qu'on ne le dit ? Là sera le véritable intérêt, d'autant plus que Pauline Dubuisson se prépare à plaider non coupable."

                            

la ravageuseLa ravageuse est le surnom donnée à Pauline par Félix. En plus du roman de Jean-Marie FITERE, deux livres sont sortis en 2015 sur Pauline DUBUISSON, "Je vous écris dans le noir" de Jean-Luc SEIGLE, et "La petite femelle" de Philippe JAENADA.

Un film est en projet, réalisé par Yves BOISSET, avec Emilie DEQUENNE dans le rôle principal.

 

 

 Virginie IKKY, pour Greffier Noir - février 2009



11/02/2009
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