Les frères Jourdain, le quadruple meurtre au carnaval
Par Virginie IKKY,
le 16 novembre 2010
Le 11 février 1997, quatre jeunes filles, les soeurs Isabelle et Audrey Ruffin, et Peggy et Amélie Merlin, âgées de 16 à 20 ans, vont ensemble participer au carnaval d’Equihen. Amélie et Peggy Merlin qui habitaient avec leur maman Marie-José, veuve depuis 14 ans, dans un modeste appartement au troisième étage d'un immeuble à la Tour du Renard à Outreau, étaient parties avec leurs amies Audrey et Isabelle Rufin qui habitaient depuis cinq mois chez leur tante à Outreau. Elles y avaient été recueillies avec leur soeur Virginie (18 ans) et leur frère Vincent (15 ans), après la mort de leur maman. Les quatre jeunes femmes seront vues pour la dernière fois le mercredi 12 février vers 4 heures du matin au café «La Crebasse». A l'aube du 12 février 1997, elles ont disparu.
Après quelques recherches, les familles préviennent le commissariat de Boulogne-sur-mer dans la journée. On leur rétorque que c’est une fugue. Alors que tous ceux et celles qui connaissaient ces jeunes filles étaient unanimes pour dire qu'il ne pouvait s'agir d'une fugue : elles étaient parties sans argent, ni papiers, ni vêtements, elles étaient déguisées et n'avaient aucune raison de fuir. Les policiers pensent très clairement qu'elles ont découché pour suivre des garçons. Mais alors qu'aucune des familles ni aucun des amis n'a la moindre nouvelle, l'affaire devient inquiétante. Le procureur est, lui, persuadé du contraire et ne lance qu'une simple « recherche dans l'intérêt des familles ». Il affirme même aux parents qu'elles ont été vues « par des gens sérieux », à Paris, dans un bowling : « leurs prénoms se seraient même affichés sur un tableau enregistrant les scores », tandis que des policiers affirmaient : « Disons que c'est le genre de jeunes filles qui ont le profil de fugueuses potentielles». Les jeunes filles ont surtout le tort de venir de familles modestes, monoparentales. Leur disparition simultanée ne va passionner les enquêteurs que lorsque l'Agence France Presse fera prendre à l'affaire une ampleur nationale.
Les amis eux ne s’avouent pas vaincus et se lancent dans une enquête sauvage qui va aboutir au fait ahurissant qu’ils auront identifié les coupables avant la police ! ! En effet, suite à une campagne d'affichage, des témoignages arrivent sur une camionnette qui a éveillé les soupçons la nuit du carnaval, ses occupants étant particulièrement louches. Un couple s'est senti épié par les deux hommes occupant la camionnette. Une famille a remarqué un drôle de manège : les deux mêmes hommes se postant à différents endroits d'une place et guettant les fêtards. Au final, un renseignement anonyme leur donnera le nom des Jourdain de la ville de Dannes. Entre-temps, l’affaire ayant pris une dimension nationale, on voit les filles dans toute la France, ce qui ne convainc guère les familles. L’identification des Jourdain scelle l’affaire. La camionnette est retrouvée, la police scientifique fait parler le véhicule et révèle que la présence de cheveux et d'un bijou. Quant au profil des suspects, il est accablant : Jean-louis et Jean-Michel Jourdain ont déjà été incarcérés pour meurtre et viol.
La police arrête donc Jean-Michel et Jean-Louis Jourdain, deux frères. On parvient à faire avouer le crime à Jean-louis avant la fin de la garde à vue et celui-ci conduit les enquêteurs sur la plage de Sainte-Cécile où les filles ont été enterrées. Le débat sur la peine de mort est aussitôt réactivé lorsque le public découvre le calvaire des jeunes filles, violées et battues à mort, enterrées dans le sable, l’une étant encore en vie. Des défilés silencieux auront lieu durant plusieurs semaines. A Dannes, où vit le clan Jourdain, on ne décolère pas. Ils supportent depuis tant d’années ce terrain vague rempli de ferrailles et d'ordures, et cette famille associale au possible, sans arrêt à chercher le scandale ou la bagarre.
Rien qu'en 1996, la mairie leur a consacré dix courriers et deux arrêtés. On leur a demandé de ranger leur ferraille, d'envoyer leurs enfants régulièrement à l'école, et surtout, on leur propose de les loger en HLM, pour du même coup les éloigner. Les Jourdain seront d’ailleurs relogés d’office après les meurtres par peur des lynchages. Leur baraquement sera incendié. Effondré de douleur, Yves Bonvoisin, l'ami de Virginie Ruffin, avait erré pendant quelques heures dans les rues de Dannes, deux fusils chargés sous les bras, à la recherche de la famille Jourdain qu'il voulait exterminer. Heureusement que son père l'a retrouvé à temps, avant qu'il ne fasse un malheur, sanglotait Virginie Rufin.
Jean-Louis et Jean-Michel Jourdain sont des associaux. Ils n'ont aucun diplôme, pas de permis de conduire, n'allaient à l'école que quand ils en avaient envie. Ils se bagarrent fréquemment avec leur père, qui les bat, petits. A l'adolescence, ils prennent le dessus et le frappent à leur tour. Ils ont surtout grandi auprès d’une mère perverse, Jeanne.
«C'est pas à moi de m'intégrer, a-t-elle jeté à la mairie, c'est à vous de m'accepter!» Née à Dannes, Jeanne travaille tôt dans les fermes. Elle rencontre Auguste Bridenne, avec lequel elle aura 9 enfants, tous placés. Tout le monde dormait avec tout le monde, au milieu des bêtes de tout poil. Cela ne sera pas le cas des 4 suivants conçus avec Louis Jourdain. Jeanne le rencontre dans les années 50, alors qu'il séjourne à la Chartreuse, un établissement psychiatrique. Ensemble, ils auront trois garçons, et une petite fille, Marie-Louise, morte en bas âge. Pour qu'on ne lui prenne pas ses enfants, Jeanne accouchera anonymement. C'est le père qui les reconnaîtra. Jeanne a enfin des enfants auprès d'elle et ne les éduque surtout pas. Le système l'a rejetée et elle inculque à ses fils pour seule valeur qu’ils ont toujours raison. La fille de l'ancien directeur d'école, Edith Maillard, raconte: «Les trois garçons étaient très violents. A l'école, quand ils venaient, ils ne se mêlaient pas aux autres. Leur mère les a toujours soutenus dans le mal.»
L'aîné, Jean-Louis, est placé un temps, à l'adolescence, dans un institut médico-pédagogique, mais il en sortira à 15 ans pour rejoindre sa mère à la ferraille. Jean-Michel, le second et le plus costaud, s'érige en chef de clan. Chez les Jourdain, c'est la loi du plus fort, et la stature de Jean-Michel fait de lui le chef naturel de la famille. Il démarre tôt et vole un fusil de chasse à 10 ans. Lui aussi est placé, mais retourne auprès de son clan à l'adolescence. Aux menus larcins, vont "naturellement" succéder des crimes, sur les femmes.
A 16 ans, Jean-Michel est inculpé de viol. En prison, il suit une formation de cariste. A sa sortie, il a 23 ans, et rencontre Christiane, une mère célibataire avec qui il aura un enfant, décédé. Jean-Luc a également une compagne et des enfants. Jean-Louis, l'aîné, enrage d'être célibataire et se vit comme le mouton noir. Jeanne insulte les filles du village qui ne veulent pas de lui en ces termes évocateurs: «Je suis obligée de me dévouer!» En fait, Jean-Louis sème l'effroi à Dannes. Un homme masqué agresse des femmes. En 1985, les maris qui travaillent de nuit organisent des rondes. Jean-Louis fera deux séjours en prison pour des attentats à la pudeur avec violence, avant de passer aux assises pour un viol commis en 1988.
A sa sortie de prison, Jean-Louis se trouve une amie, Marie-Claude, une jeune femme débile légère qu'il a rencontrée alors qu'elle avait fugué de l'établissement médico-psychologique où elle était placée. Jean-Michel semble miraculeusement s'insérer et suit un stage dans un chantier-école à ETAPLES: «Il travaillait bien et avait les larmes aux yeux quand il parlait de son passé judiciaire», affirme le maire, Marcel Guerville. Son moniteur de stage lui avait même trouvé un emploi de cariste à Boulogne-sur-Mer, pour le 15 mars.
Retour au 11 février 1997. C'est le carnaval d’Equihen. Qui sait ce qu’ont décidé Jean-Michel et Jean-Louis Jourdain, mais les témoins ont clairement aperçu des prédateurs en chasse. Pendant des heures, les frères observent la foule d'un œil mauvais, importunant les femmes. Ils font également comme c’est la tradition le « taxi » en transportant des carnavaleux entre les bals de Saint-Cécile et du Portel. Vers quatre heures du matin, ils croisent des filles qui marchent en direction du village voisin. Toutes portent encore leur déguisement: il y a Isabelle, 20 ans, en costume d'Indienne, et sa soeur Audrey, 17 ans, habillée en mousquetaire; il y a Peggy, 20 ans, en robe de marquise, et sa soeur Amélie, 16 ans, en tunique de Pierrot. Elles montent dans le van, mais s'inquiètent vite. Jean-Michel conduit jusqu'à la plage Sainte-Cécile.
Les frères arrivent au blockhaus, puis leurs versions divergent. Jean-Louis dit avoir creusé, sur ordre de Jean-Michel, un trou dans la dune. Les filles pleurent. Jean-Louis reste avec elles dans le bâtiment abandonné. Toutes les vingt minutes, affirme-t-il, Jean-Michel vient en chercher une. Pour la violer et la tuer dehors. A la fin, les Jourdain emmènent de force la quatrième, Audrey, à qui Jean-Michel aurait ordonné de regarder ses amies et sa sœur mortes au fond du trou, avant de l'étrangler et de l'y jeter. Mais Jean-Michel, lui, nie tout, ou presque. Il reconnaît avoir pris les jeunes filles en stop, mais elles «rigolaient», a-t-il précisé pendant l'instruction. Il dit avoir contemplé «la mer pendant une heure», avant de retrouver son frère à côté des corps inanimés. Selon l'accusation, cependant, le scénario est tout autre: les adolescentes auraient été violées puis tuées à l'intérieur du camion, les Jourdain n'allant sur la dune que pour les y enterrer.
Leur procès a lieu devant la Cour d’Assises de Saint-Omer à la fin du mois d’octobre 2000. Jean-Louis, continue d'avouer les faits mais en modifiant sensiblement sa version initiale, tandis que son frère Jean-Michel nie toujours tout en bloc.
«Quels sont les faits que vous reconnaissez?», leur demande d'entrée le président Jean-Claude Monier.
«Je reconnais ce que j'ai fait, mais pas ce que je n'ai pas fait», bafouille Jean-Louis, qui désormais nie le viol et conteste la préméditation.
«Aucun», rétorque, laconique, Jean-Michel, soulevant une vague d'indignation dans la salle.
Jean-Louis continue d'admettre qu'ils ont «pris les filles sur la route» pour les emmener au blockhaus, d'où son frère les a fait partir une par une afin de les tuer, et apporte certaines variantes à la version établie par l'instruction. Tout en continuant de charger «le frère», qui selon lui conduisait le fourgon et dirigeait les opérations sur la plage, Jean-Louis affirme pour la première fois qu'ils étaient partis ce 11 février au soir pour «faire de la ferraille» avant de changer d'avis en route, une manière pour lui de contester la préméditation retenue par l'accusation.
Si Jean-Louis pense que «les filles ne voulaient pas aller au blockhaus», il n'aurait rien imaginé des intentions meurtrières de son frère. Le président s'étonne d'ailleurs à plusieurs reprises qu'il n'ait pas été plus inquiet. «Mon frère a dit de ne pas m'inquiéter», répond Jean-Louis, impassible. Jean-Louis nie le viol, et Jean-Michel nie en bloc avoir jamais rencontré les quatre filles. Ses aveux, en février 1997, auraient été faits sous la menace des policiers. «Ils m'ont dit que ma femme irait en prison», explique Jean-Michel. Ce dernier, qui se dit plutôt solitaire, avouera devant la cour être parti avec son frère pour faire de la ferraille et avoir pris un groupe de jeunes en stop. Mais, comme il n'a pas de permis de conduire, il aurait préféré ensuite rentrer chez lui, s'arrêtant en route pour dormir un peu.
En tentant d'expliquer la brutalité de leurs crimes, les experts ont insisté sur le fait que les deux frères étaient des consommateurs effrénés de pornographie violente. Les films et les magazines X constituaient même l'essentiel de la culture de la famille Jourdain.
Enfin, les médecins légistes et les policiers, venus en fin d'après-midi expliquer comment ils ont retrouvé les corps, sont unanimes: «sans les indications précises de Jean-Louis Jourdain, nous n'aurions jamais retrouvé les corps», affirme le commandant Decarlin, du SRPJ de Lille, qui a dirigé les recherches. Les médecins évoquent des violences sexuelles et les nombreuses ecchymoses retrouvées sur les corps des victimes.
La cour d'assises du Pas-de-Calais a condamné Jean-Louis et Jean-Michel Jourdain à la réclusion criminelle à perpétuité, avec une période de sûreté de respectivement 20 ans et 22 ans. Les deux frères étaient accusés d'avoir, dans la nuit du 11 février 1997, séquestré Amélie, Peggy, Isabelle et Audrey pour violer trois d'entre elles, puis les tuer toutes. La condamnation sera confirmée en appel. Avec les remises de peine, les deux frères vont bientôt terminer leur période de sûreté, à l'âge de 55-60 ans. Aucune demande de libération conditionnelle ne semble avoir été déposée pour l'instant, du moins les médias ne s'en sont pas fait l'écho. Chaque frère est en double récidive criminelle et il sera compliqué pour un Tribunal de l'application des peines d'assumer la sortie de ces hommes qui sont encore en âge de faire des victimes, surtout si c'est pour retourner dans leur famille et reprendre la vie d'avant.
Laure Lamotte est décédée en 2012. Marie-Josée Merlin est décédée le 2 novembre 2017.
Jean-Louis Jourdain est malheureusement décédé après les mères des victimes, le 6 mars 2019, à la prison de Caen.
Virginie IKKY pour Greffier Noir
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