Emile Louis, le gendarme Jambert, l'Yonne et ses mystères
Par Virginie Ikky,
le 22 août 2009
En l'espace de deux ans, entre 1977 et 1979, plusieurs jeunes filles de la DDASS disparaissent dans l'indifférence générale et un silence pesant. Suivront vingt ans de laxisme administratif et de sommeil judiciaire, pour enfin aboutir à l'affaire des disparues de l'Yonne. Mais cette affaire n'a certainement pas livré tous ses secrets. En effet, dans les années 80, les affaires de moeurs, viols, prostitution et torture sur les jeunes femmes déshéritées à Auxerre se sont étrangement succédées, et il n'est pas difficile de faire le lien entre elles. La justice s'en ait abstenu, comme elle freine des 4 fers pour élucider la mort du gendarme Jambert, vieille de 12 ans déjà et hautement suspecte. La litanie des meurtres, disparitions, ratés de l'enquête et de la justice dans cette affaire donne le tournis. Mais c'est surtout l'absence de réaction et la mort dans l'indifférence de dizaines de jeunes femmes qui écoeurent.
Il est de tradition dans le département de l'Yonne que des familles nourricières recueillent les enfant abandonnés des régions industrielles et de Paris. Les pensions mensuelles permettent d'arrondir les fins de mois et appâtent les familles modestes. Au sein de ces familles, il n'est pas rare que six ou sept enfants de la Ddass s'entassent dans la même chambre, sans que les institutions ne soient très regardantes.
A l'origine de cette affaire, 7 disparues qui s'appelaient Christine Marlot, Jacqueline Weiss, Chantal Gras, Madeleine Dejust, Françoise et Bernadette Lemoine, et Martine Renault. Elles viennent de famille très pauvres, de parents alcooliques bien souvent, et sont faibles d'esprit. Elles ne peuvent guère mieux raisonner que de jeunes enfants. Placées en famille, elles apprennent des petits travaux à l'institut médico-éducatif d'Auxerre en guise d'école. Comme la plupart des jeunes femmes handicapées, elles sont sujettes aux rumeurs dégradantes et traînent une réputation de fille facile. Il est vrai qu'elles sont candides et peu méfiantes. L'une d'elles se fait prescrire la pilule à 14 ans, l'amant d'une autre lui tond la tête un soir de beuverie.
Quand les jeunes filles se volatilisent, l'une après l'autre, de 1977 à 1979, une seule des nourrices s'en inquiétera et publiera un avis de recherche dans la presse locale, celle de Madeleine Dejust. Du côté de l'IME, le dossier de chaque pensionnaire est barré de la mention «en fugue», sans plus de recherche. Aucun signalement n'est effectué à la gendarmerie.
En 1981, Christian Jambert, gendarme, est chargé de l'enquête sur le meurtre de Sylviane Lesage, 23 ans, dont le corps a été découvert décomposé à Rouvray, près d'Auxerre. Au début, il n'y a qu'un corps à identifier. La chance veut que la mère de Sylviane LESAGE soit amie avec un vieille connaissance du gendarme, qui lui demande d'enquêter sur la disparition de Sylviane. Christian JAMBERT fait le rapprochement entre le corps et la disparition.
Or, Sylviane LESAGE était la maîtresse d'Emile Louis, chauffeur de car à l'Association pour l'aide aux adultes et jeunes handicapés (APAJH). Lors de son enquête, Jambert découvre que la compagne d'Emile Louis héberge trois fillettes de la DDASS qui se plaignent régulièrement d'être obligées de faire «de drôles de choses» par Emile Louis. Le chauffeur de car devient alors, aux yeux du gendarme, le suspect numéro 1 du meurtre de Sylviane. Inculpé, Emile Louis reconnaît pratiquer régulièrement des attouchements sur les fillettes mais nie le meurtre de Sylviane Lesage. Il est condamné en janvier 1983 à cinq ans de prison, uniquement pour les attouchements, peine réduite en appel à quatre ans.
Mais Christian Jambert s'obstine car il est persuadé de détenir le coupable du meurtre de Sylviane Lesage. Il continue son enquête à la recherche d'autres victimes et en fouillant les archives de l'APAJH, il découvre, totalement par hasard, l'existence des sept disparues tombées dans l'oubli:
-Christine Marlot (16 ans), disparue le 23 janvier 1977.
-Françoise Lemoine (19 ans), disparue en été 1977 à Auxerre.
-Bernadette Lemoine (21 ans), disparue en 1977 à Auxerre.
-Jacqueline Weiss (18 ans), disparue le 4 avril 1977 à Auxerre.
-Madeleine Dejust (22 ans), disparue en juin 1977 à Auxerre.
-Chantal Gras (18 ans), disparue le 22 avril 1977 à Villefargeau.
-Martine Renault (16 ans), disparue début 1979.
Christine MARLOT est née le 26 mai 1961 à Avallon (Yonne). Prise en charge par la DDASS à neuf ans, elle est scolarisée à l'institut médico-éducatif (IME) de Grattery à Auxerre. Elle est décrite comme une adolescente ayant "d'importants problèmes affectifs encore accentués par la mort de sa mère". Elle a fugué à plusieurs reprises de ses familles d'accueil.
Françoise LEMOINE est née le 1er décembre 1948 à Chablis (Yonne). Prise en charge par la DDASS à quatre ans et demi, son dossier administratif mentionne une jeune fille "incapable de se diriger seule". A partir de sa majorité, elle occupe plusieurs petits boulots, et accouche en 1972 d'une fille. Emile Louis a affirmé avoir été son amant.
Bernadette LEMOINE est la soeur de Françoise. Elle est née le 22 novembre 1958 à Tonnerre (Yonne), et est placée en foyer à Auxerre à 14 ans et est scolarisée à l'IME de Grattery. Cette jeune fille, décrite comme "réservée", épouse Jean-Pierre Gay-Para en 1977, avec qui elle aura un fils.
Jacqueline WEISS est née le 7 août 1958 à Esch-sur-Azlet au Luxembourg. Élevée par sa grand-mère jusqu'à son décès en 1973, elle est ensuite placée chez l'épouse d'Emile Louis, Simone Delagneau, où elle revient un an avant sa disparition. Elle est alors employée de maison. Son dossier administratif fait état d'une "jeune fille réservée", "d'un niveau intellectuel normal" et "faisant montre d'une certaine crainte de l'adulte".
Madeleine DEJUST est née le 1er octobre 1955 à Saint-Romain-le-Preux (Yonne). Confiée à l'âge de 5 ans au foyer de l'enfance d'Auxerre, elle est scolarisée à l'IME de Grattery en 1970. Elle est perçue comme une jeune fille "très renfermée" et "influençable". Elle travaillait dans un centre d'aide par le travail, au moment de sa disparition.
Chantal GRAS est née le 19 janvier 1959 à Paris. Elle a été confiée en famille d'accueil dès l'âge de 4 ans. En 1974, elle est scolarisée à l'IME de Grattery en section repassage. Elle est décrite par les institutions comme une jeune fille "incapable de discernement". Selon plusieurs témoins, elle avait une grande admiration pour Emile Louis qui la conduisait au centre médico-éducatif.
Martine RENAULT est née le 19 février 1963 à Auxerre. Recueillie par la DDASS en 1965, elle connaît plusieurs placements en familles d'accueil. Des témoins évoquent une adolescente "mal dans sa peau" et "naïve". L'année de sa disparition, elle est scolarisée en seconde spécialisée. "Une enquête préliminaire, effectuée à l'époque mais non retrouvée, aurait conclu à une disparition suspecte", selon une source judiciaire.
Les sept jeunes handicapées sont donc toutes reliées à Emile Louis et lui vouaient une confiance sans bornes. Il copine avec ces jeunes femmes rejetées, quitte à les fréquenter. Elles ont toutes été aperçues près de lui peu de temps avant leur disparition. Le gendarme remet en 1984 un rapport circonstancié au parquet d'Auxerre qui accable Emile Louis et le met en cause dans les disparitions. Mais le parquet d'Auxerre classe l'affaire.
Emile Louis est un enfant du pays qui naît le 21 janvier 1934 à Pontigny à 25 km au nord-est d'Auxerre dans l'Yonne. Il est abandonné par sa mère au cours des premiers jours de sa vie et est pris en charge par la DDASS, puis adopté par une famille d'accueil.
Son père adoptif est artisan maçon et fossoyeur. Sa mère adoptive est autoritaire et froide, Il apprend à 14 ans que ses parents nourriciers ne sont pas ses vrais parents. Adolescent, il séjourne dans un centre de délinquance en Saône-et-Loire où il est violé. Élève moyen, il obtient son certificat d'études. En 1952, âgé de 18 ans, il s'engage dans la Légion étrangère et participe à la guerre d'Indochine pendant deux ans où il est affecté dans la marine en tant que transport de soldats tués au front. Il revient d'Indochine française à la fin de la guerre en héros avec plusieurs décorations militaires.
En 1954, âgé de 20 ans, il épouse Chantal Delagneau avec qui il a deux filles, Marilyne et Manoèle, et deux fils, Fabien et Fabrice. Ils vivent à Villefargeau à 7 km à l'ouest d'Auxerre. Emile Louis est très bien intégré et est décrit comme un homme gentil, serviable et à l'écoute. Mais Émile Louis est en proie à des pulsions sexuelles violentes. Son épouse dit de lui qu'il était un homme à double personnalité, gentil et attentionné, et méchant et cruel. Il est employé à la base militaire de Varennes dans l'Yonne. plus tard, à Seignelay, au nord d'Auxerre, il se fait élire conseiller municipal, et devient chauffeur d'autobus de ramassage scolaire pour la société Les rapides de Bourgogne .
Il se sépare de son épouse en 1978 après 24 ans d'union et se met en ménage avec Gilberte Binoche Lemérorel. En 1981, il est arrêté et condamné pour attentats à la pudeur sur des mineures de la Ddass confiées à sa compagne, coincé par le gendarme Jambert.
En 1984, il s'installe à Draguignan dans le Var, après avoir purgé sa peine de prison, où il trouve un emploi dans une entreprise de pompes funèbres. En 1989, Émile Louis est condamné par le Tribunal correctionnel de Draguignan à 5 ans de prison dont 1 an de sursis et 3 ans de mises à l'épreuve, pour attentat à la pudeur commis avec violence. Il est libéré le 18 avril 1992.
En 1992, en avril, il épouse en secondes noces, Chantal Paradis à Draguignan.
En mai 1992 l'association de défense des handicapés de l'Yonne (ADHY) constituée autour d'une cuisinière de l'APAJH, s'inquiète de certaines méthodes au sein de la structure dirigée par les omnipotents Pierre et Nicole Charrier depuis les années 70. Avec un budget de 80 millions de francs et 350 employés, l'APAJH est le second employeur de la ville d'Auxerre, ce qui explique pourquoi l'administration n'a jamais pris en compte les témoignages très graves sur les méthodes des Charrier, qui sont manifestement de grands pervers.
Bernadette Petitcollot, une ancienne éducatrice du foyer Guette-Soleil raconte avoir a vu Nicole Charrier montrer ses seins et ses fesses à une jeune fille trisomique. Elle envoie un courrier de dénonciation aux autorités judiciaires pour signaler une fellation dont avait été victime un déficient mental au foyer, sans aucune réponse.
Serge Lange ancien administrateur de l'APAJH fait lui des démarches pour alerter le préfet de l'Yonne, en vain, sur les agissements de Nicole Charrier qui prend plaisir à faire raconter aux petites handicapées ses expériences intimes. Elle fait couramment étalage de sa vie sexuelle.
En mai 1996, l'association ADHY, qui a découvert l'histoire des disparues de l'Yonne décide de médiatiser l'affaire. Pierre Monnoir rencontre un journaliste de l'émission « perdu de vue », qui se découvre incapable de trouver la moindre trace des jeunes femmes. Elles n'ont pas travaillé, ne se sont pas mariées, n'ont pas perçu d'allocations. Les jeunes femmes n'ont plus d'existence administrative ou civile depuis la fin des années 70. Un appel est lancé sur TF1 dans l'émission, et brusquement, des personnes découvrent en direct à la télévision que leur soeur fait partie de la liste. Ils ont souvent fait énormément de recherches et pensaient que la soeur disparue avait fait sa vie tranquillement. Ceci confirme encore que la DDASS ne pouvait ignorer que les jeunes femmes étaient recherchées, et que leur volatilisation n'avait rien de normal.
Par ailleurs, l'émission suscite un témoignage d'un chauffeur de car à la retraite, collègue d'Emile Louis, qui affirme avoir vu ce dernier creuser un trou de la taille d'un corps, en février 1981, dans un champ entre Seignelay et Chemilly-sur-Yonne quelques jours après la date de disparition de Sylviane Lesage. Le 3 juillet 1996 l'ADHY et l'avocat Maître Gonzalez de Gaspard déposent plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction Benoît Lewandowski, qui refuse d'informer. L'ADHY obtient gain de cause devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris le 7 mai 1997.
Le gendarme Jambert, à la retraite et cheville ouvrière de l'enquête, est alors retrouvé mort dans d'obscures circonstances le 4 août 1997. Certes, l'enquête était lancée, mais il était l'un des seuls, le seul même, à pouvoir faire la connexion entre Emile LOUIS et de nombreuses autres affaires étranges et malsaines s'étant déroulées à Auxerre. Il devait être entendu par le Juge d'Instruction sous peu.
Entre octobre 1997 et mai 2000 plusieurs fouilles sont organisées par le juge Lewandowski dans différents lieux fréquentés par Emile Louis dans la campagne de l'Yonne. Elles ne donnent aucun résultat malgré les considérables moyens humains et matériels engagés.
le 14 décembre 2000, Emile Louis est interpellé à son domicile puis placé en garde à vue.
Croyant ses crimes prescrits, Emile Louis livre ses aveux. bout de quelques heures d'interrogatoire. Il raconte ses pulsions, la bête intérieure qui le ronge. Sa première victime est Françoise Lemoine, disparue en 1977. Il dit l'avoir assassinée alors que la jeune femme était sa maîtresse depuis un an après avoir fait l'amour avec elle sur une petite plage en bordure du Serein, une rivière où il avait l'habitude de pêcher. Il aurait ensuite enterré le corps à proximité.
Il recommence avec Christine Marlot en janvier 1977 qu'il enterre à proximité de sa précédente victime. Trois mois plus tard, en avril 1977, il tue, successivement, Jacqueline Weiss et Chantal Gras. En juillet de la même année c'est au tour de Madeleine Dejust, tuée alors qu'il la conduisait à son C.A.T. puis un an plus tard c'est à celui de Bernadette Lemoine. Enfin, en septembre 1979, il s'attaque à Martine Renault.
En janvier 2001, il se rétracte et prétend qu'il a avoué sous la pression des gendarmes. Cependant, deux corps sont retrouvés enterrés près du Serein suivant ses indications, les corps de Madeleine Dejust et Jacqueline Weis. De surcroît un album photo lui appartenant est retrouvé à proximité de l'un des corps.
Quant à la prescription qui guettait dangereusement, 10 ans, par chance, un courrier rédigé en 1993 par Bertrand Daillie, substitut du procureur d'Auxerre, qui s'est enquis du sort de quatre jeunes femmes disparues auprès des services sociaux du conseil général de l'Yonne, est considéré par la Cour de cassation comme un acte d'enquête interruptif de la prescription. Une interprétation fort favorable aux parties civiles, et destinée à sauver les meubles d'une enquête déjà si entachée de laxisme.
Le 22 octobre 2001, Chantal Paradis et sa fille se constituent partie civile contre Emile LOUIS pour des faits de viols, actes de barbarie et de torture. Du 22 au 26 mars 2004, Emile Louis comparait devant la Cour d'assises du Var pour viols et agressions sexuelles aggravées avec torture et acte de barbarie contre sa seconde épouse et sa belle-fille. Il est condamné à vingt ans de réclusion criminelle.
Le 14 octobre 2005, Emile LOUIS est condamné à 30 ans de réclusion, assortie d'une période de sûreté des deux tiers par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône en appel, pour viols avec actes de torture et de barbarie sur sa seconde épouse et viols sur sa belle-fille, à Draguignan, au début des années 1990. Soit 10 ans de plus qu'en première instance (en plus de sa peine de réclusion à perpétuité pour l'affaire des disparues de l'Yonne).
Le 2 novembre 2004, s'ouvre le second procès sur les disparues de l'Yonne à Auxerre. Au cours des débats, l'accusé nie tout en bloc, mais sa fille aînée Marilyne Vinet lui porte le coup de grâce. Elle témoigne devant la cour d'assises que son père n'était "pas un être humain" et raconte avoir été victime de viols de la part de son père quand elle avait 5 ans. Plus grave encore pour Emile LOUIS, elle dit l'avoir vu éventrer une jeune femme quelques années plus tard, sous ses yeux en forêt, expliquant qu'elle n'avait rien dit avant l'année 2000, de peur qu'il ne fasse subir le même sort à sa mère. Des femmes ayant connu Emile Louis témoignent à la barre et déclarent avoir été victimes d'abus sexuels et de séquestrations sous l'emprise de drogues dans le Var.
Le 25 novembre 2004, Emile Louis est reconnu coupable de l'assassinat des sept jeunes femmes et est condamné à perpétuité dont 18 ans de peine de sûreté. Il fait appel de cette condamnation.
En juin 2006, la Cour d'assises de Paris confirme la peine pour l'affaire des disparues de l'Yonne : réclusion criminelle à perpétuité avec peine de sûreté de 18 ans. La Cour de cassation confirme cette condamnation le 13 septembre 2007.
A la vérité judiciaire, se superposent de nombreuses autres affaires de l'Yonne des années 80, où l'on retrouve des amis d'Emile LOUIS, l'IME et le service psychiatrique de l'hôpital d'Auxerre, et toujours, les filles de la DDASS, en victimes.
Le 22 janvier 1984, une jeune femme, Huguette, trouve refuge à l'hôpital d'Auxerre où elle explique qu'elle a été violée et torturée pendant plus de trois mois après avoir été enfermée dans la cave d'un pavillon d'Appoigny près d'Auxerre. Le procureur de la République d'Auxerre et les policiers ne la croient pas. Il faut trois longs jours pour que la police se décide à aller voir ce qui se passe chez les époux Dunand. Une autre jeune femme y est séquestrée...
Huguette est une enfant de la Ddass qui part des foyers en 1983 lorsqu'elle a trouvé du travail : Une petite annonce passée par Claude et Monique Dunand, résidant à Appoigny, qui cherchent une personne pour s'occuper d'une vieille tante.. La jeune femme arrive en octobre 1983 et son calvaire commence.
Un homme lui enchaîne les pieds et les mains pendant qu'un autre lui jette une couverture sur la tête, et les deux l'attachent à un tuyau, puis la fouette. Le lendemain, Claude Dunand la viole, puis la laisse plusieurs jours, nue, sans eau ni nourriture.
Son premier tortionnaire, un Allemand qui se fait appeler Helmut la fouette et lui introduit des aiguilles dans les seins et dans les fesses, qu'on ne lui ôtera que le lendemain. Un autre se délecte de la regarder boire son urine. En tout, une trentaine d'hommes la torturent. Huguette dénonce des notables, venant de Paris ou de Lyon. Dunand lui perfore les lèvres vulvaires avec des épingles à nourrice qu'il attache à ses cuisses, lui introduit des objets dans l'anus jusqu'à le lui déchirer, lui brûle les seins avec un tournevis rougi, dessine sur l'un d'eux une croix gammée, lui envoie des décharges de courant électrique dans la poitrine. Lorsque les plaies s'infectent, Claude Dunand fait venir un ami médecin et complice, qui soigne huguette.
Trois mois plus tard, Mickaëlla, rejoint Huguette. C'est une ancienne élève de l'Apajh qui a fréquenté l'Institut médico-éducatif. Le 17 janvier 1984, la jeune femme est enchaînée aux quatre madriers formant une croix de Saint-André dans le sous-sol du pavillon. Elle sera libérée encore attachée sur la croix....
Sur place donc, les policiers découvrent une véritable salle de torture sadomaso : un carton rempli de phallus artificiels en bois et en caoutchouc, de pinces à linge, d'aiguilles à tricoter, de bougies, de deux tubes de vaseline et d'une pince crocodile et une terrifiante indication, des tarifs. Les fenêtres de la pièce de torture sont occultées avec du papier journal et de la laine de verre.
Claude Dunand ne peut qu'avouer et des agendas sont saisis, "dont l'exploitation ne permettait pas de retrouver d'autres tortionnaires", selon les enquêteurs du SRPJ de Versailles, qui ont repris l'enquête. Ils n'identifieront donc que trois clients : Georges Ethievant, Paul Lefort et Joseph Quiock. Les deux premiers seront mis en examen. Paul Lefort, qui avait reconnu les faits, sera retrouvé mort en avril 1984, après avoir parlé aux enquêteurs d'une fille, dont Claude Dunand assurait s'être débarrassé. Georges Ethievant, qui avait connu Dunand au Club des Genêts d'Or à Paris, mourra en 1990, peu avant sa comparution en cour d'assises. Quant à Quiock, il s'était déclaré étranger à tous ces faits, et avait fourni de solides alibis avec des attestations de ses proches. Avant sa comparution, Claude Dunand bénéficie de l'appui d'un membre du comité de gestion de Mézilles, Georges Fritsch.. Cet ancien curé a crée la Fraternité Notre-Dame, une association de réinsertion pour détenus, qui s'occupe comme par miracle aussitôt de Claude Dunand. Georges Fritsch écrit au garde des Sceaux, Pierre Arpaillange, en décembre 1989 : "Je profite de mes vieilles et excellentes relations avec Jean-Pierre Soisson, pour vous atteindre directement, de façon certaine." Et demander la libération de Dunand ainsi qu'une subvention de 200000 à 220000 francs pour les besoins de l'association".
Alors ministre du Travail, Jean-Pierre Soisson, ancien maire d'Auxerre, intervient auprès du Garde des sceaux et informe Georges Fritsch en juin : "Je note avec plaisir que votre dossier est en cours de constitution et j'espère vivement que vous obtiendrez l'aide financière souhaitée.". Dunand retrouve ainsi sa liberté jusqu'à son procès. C'est alors que Fritsch disparaît de l'Yonne. On retrouve quelques documents dans son local paroissial, dont des invitations à des "soirées Q".
En 1991, Claude Dunand est jugé et condamné à la prison à perpétuité. Son épouse est condamnée à une peine de 5 ans de prison, et meurt d'une chute dans un escalier après sa sortie. Claude Dunand est libre depuis juin 2001.
Cependant des éléments troublants peuvent laisser supposer que ces deux affaires sont liées. Claude Dunand et Emile Louis avaient en effet des amis communs et des connexions. Tous deux ont vécu dans le même village, à Migennes, travaillé au même endroit, à la gare routière d'Auxerre. Par ailleurs, les époux Dunant s'en prenaient à des enfants de la Ddass. Christian Jambert estimait en tout cas qu'Emile Louis aurait pu être, soit le pourvoyeur, soit le fossoyeur du couple sadomasochiste. Dunand n'a jamais révélé les noms de ses autres membres de «l'organisation», se contentant d'allusion à «des gens importants».
En 1989, Pierre Charrier, directeur de la DDASS de l'Yonne à Auxerre d'où viennent les sept jeunes filles est pris en flagrant délit à l'arrière d'une voiture en compagnie d'une handicapée de 22 ans dont il abuse sexuellement. Il explique qu'il aurait ainsi permis à la jeune femme de « s'épanouir affectivement ». Il est condamné à six ans de prison ferme en 1992.
Dans l'Yonne comme partout, des disparitions de jeunes femmes sont à déplorer, mais la justice enquête bien peu : Le corps de Lucette Evain a été retrouvé sur un terrain vague en 1970, pas loin du siège des Rapides de Bourgogne, où travaillait déjà Emile Louis. C'est une enfant de la Ddass et l'enquête conclut au suicide rapidement. Aujourd'hui, la procédure et le rapport d'autopsie sont introuvables. En 1979, Elisabeth Fontaine se volatilise. On retrouve sa voiture sur un parking, au bord de l'Yonne. Les parents de la jeune fille écrivent au procureur de l'époque sans réponse. Il n'y aura pas d'enquête. Marie-Angèle Domece, une jeune fille de la Ddass, a disparu le 8 juillet 1988. Sylvie Baton, Joanna Parish et Danièle Bernard ont été assassinées en 1989 et 1990. Les circonstances de leurs morts restent non élucidées.
Le restaurant le Saint-Fiacre, à Appoigny est situé à 100 mètres à peine de l'allée des Violettes, où résidaient Claude et Monique Durand. Il était tenu par un ancien proxénète, sous la protection duquel Monique Dunand s'était prostituée un temps à Auxerre, un type qui fréquentait aussi le Nicky Bar, où Emile Louis avait ses habitudes, et où Françoise Lemoine, l'une des sept jeunes filles portées disparues, avait été embauchée comme serveuse...C'est dans ce restaurant que déjeunent fréquemment les médecins du service psychiatrique de l'hôpital d'Auxerre, service où on dénombre là encore de curieux faits-divers.
A l'hôpital, c'est le docteur Dumeige qui a dirigé le service psychiatrique jusqu'en 1985. Il est le beau-frère de l'avocat de Nicole Charrier, et adjoint au maire sous le dernier mandat de Jean-Pierre Soisson.. Il est réputé grivois et on dit qu'il organise des orgies pour les notables de la ville. Dumeige meurt bizarrement dans un accident de planeur après s'être endormi dans son cockpit.
Le docteur Chauveau reprend le service à l'hôpital d'Auxerre. Il est aussi le psychiatre de l'institut médico-éducatif des Brions, à Tonnerre. Ce centre pour enfants handicapés fait parler de lui après que des parents aient déposé une plainte auprès du juge d'instruction à Auxerre pour séquestration et coups et blessures. Plainte jamais aboutie. C'est dans le service fermé du docteur Chauveau qu'un père a retrouvé son enfant autiste, élève des Brions, attachée, la peau du dos, des bras, arrachée. Et c'est des Brions encore que venait Martine B., jeune fille que Chauveau avait fait hospitaliser, alors que selon le personnel, la jeune femme n'avait aucune pathologie. A sa sortie du service, Martine B. disparaît.
Chantal C., patiente au service fermé, est partie en permission chez ses parents un week-end et elle n'est jamais revenue. Une assistante sociale et des infirmiers affirmaient que Chantal C. avait rejoint un réseau de prostitution.
Anna est une femme d'origine polonaise qui vivait dans les années 80 avec un médecin de Sens, avec qui elle a eu un enfant. la rupture est difficile, et Anna intègre trois semaines le service libre de l'hôpital psychiatrique d'Auxerre. Le docteur Strutzik, un psychiatre d'origine polonaise comme elle, a voulu lui donner un coup de main et la présente à l'un de ses collègues qui avait besoin d'une employée de maison pour garder ses enfants. Anna travaille chez lui jusqu'à ce que Strutzik débarque un soir, accompagné d'un infirmier. Ils la menace d'une seringue. Anna est placée au service fermé, assommée de médicaments.
Le docteur Dessens antidate un acte pour régulariser la situation d'Anna et l'interner en bonne et due forme. Anna fuit un jour pendant que Chauveau faisait sa sieste comme à son habitude jusqu'à 16 heures. Elle dépose une plainte pour séquestration auprès du procureur de la République, René Meyer, classée sans suite. Elle persévère auprès du juge Bourguignon. Le docteur Dessens n'est pas entendu, et Chauveau à peine. Le docteur Strutzik avoue les faits. Il est mis en examen en 1989 pour séquestration arbitraire, coups et blessures par destination, faux et usages de faux en écriture. Une confrontation devait avoir lieu. Le juge Bourguignon l'a reportée, ad vitam. L'affaire ressortira en 2002, bien trop tard. Anna s'est découragée.
Enfin, à la même époque, Danielle Bernard est retrouvée morte dans son appartement, la tête rouée de coups de tisonnier, le corps lardée de coups de tournevis. Elle était infirmière à l'hôpital psychiatrique, dans un service délocalisé à Appoigny, qui recevait des enfants et adolescents dans l'attente d'un placement. Le procureur de la République de l'époque, Jacques Cazals, a classé le dossier sans suite, faute de trouver le moindre indice sur le meurtrier.
En 1984, le gendarme adresse son rapport au parquet d'Auxerre. Jambert réclame un complément d'enquête. La demande reviendra barrée d'un «non» définitif dont tous les magistrats de l'époque se rejettent aujourd'hui mutuellement la responsabilité. Pendant les interrogatoires, Emile Louis clamait haut et fort qu'il avait des relations.
Emile Louis compte des amis hauts placés : Pierre et Nicole Charrier. Le 12 février 1982, alors que le chauffeur de car est mis en examen pour «attentat à la pudeur» sur les trois fillettes placées chez sa compagne, Nicole Charrier se porte témoin de moralité : «M. Louis se montre très près, compréhensif, voire même éducatif et éducateur dans ses contacts avec nos adolescents, écrit-elle au juge d'instruction. Vécu comme un père, parfois un grand frère à qui l'on peut tout dire, il permettait les cigarettes à 14, 15 ans ou les flirts. (...)» Bizarrement, le cas d'Emile Louis semble susciter beaucoup de sollicitude autour de lui. A l'époque, pour le défendre, on réquisitionne ni plus ni moins qu'un ténor du barreau parisien, Me Thierry Lévy, l'un des meilleurs avocats français.
Le 4 août 1997, vers 10 heures, le corps sans vie de Jambert est retrouvé à son domicile. Jacques Cazals ouvre alors une enquête préliminaire, mais ne se déplace pas sur les lieux. Il la referme deux heures plus tard. Puis, fait inexplicable, le magistrat ouvre une deuxième procédure dans l'après-midi même... Dans la chambre de l'adjudant, sur le lit défait, l'étui d'une carabine. Au sous-sol, le corps de Christian Jambert gît sur le dos, l'arme posée à ses pieds. Il y a des taches de sang sur un meuble éloigné du corps, Jambert a dû se cogner. On constate une plaie sur le haut de son crâne, des hématomes. Dans la cuisine, une feuille de papier avec un petit mot du gendarme, écrit à l'encre rouge pour sa fille. Il lui demande pardon, et ajoute: «Clef garage en ville.» Le stylo rouge reste introuvable. Les enfants de Jambert, auxquels on promet une autopsie qui n'aura jamais lieu, sont entendus; mais pas sa femme ni son ex-concubine. Les notes personnelles de l'adjudant, une sacoche en cuir, avec des documents sur des affaires de disparitions, de pédophilie, ont disparu. Le procureur classe en suicide. Pourtant, Jambert se sentait menacé et avait même installé des micros dans sa maison pour entendre ce qui s'y passait en son absence. il s'était fait agresser et ses volets avaient été fracturés.
En 2002, Isabelle Jambert, sa fille, s'est constituée partie civile pour connaître les causes de cette mort. Le procureur Cazals avait déjà ordonné la destruction d'une partie des scellés. Isabelle a demandé à relire la lettre laissée par son père. Elle affirme que ce n'est pas la même que celle retrouvée en 1997.
Le 31 mars 2004, la magistrate chargée d'instruire le dossier, Pauline Flauss, ordonne l'exhumation du corps et demande une autopsie, que pratiquera la directrice de l'Institut médico-légal de Paris, Dominique Leconte. l'autopsie révéle que le gendarme Jambert a reçu, dans la tête, deux balles dont les trajets seraient " totalement incompatibles avec la thèse du suicide ".
En avril 2004, une information judiciaire a été ouverte pour « assassinat » après l'exhumation du corps du militaire. Le 23 avril 2004: une contre-expertise conclut au suicide."
Le mardi 17 janvier 2006, les enfants du gendarme Jambert et leur avocat ont rencontré le juge d'instruction auxerrois qui leur a annonçé les conclusions du troisième rapport d'expert sur l'autopsie du gendarme Jambert, Ce troisième rapport confirme les conclusions de la deuxième expertise alors que la première autopsie pratiquée par la directrice de l'institut médico-légal de Paris excluait pratiquement la thèse du suicide, le 3 août 1997, du gendarme Jambert.
C'est lors d'une exhumation effectuée en décembre 2007 que l'un des experts, la professeur Dominique Lecomte, directrice de l'Institut médico-légal de Paris, a constaté la disparition de plusieurs éléments du crâne, ce qui n'était pas le cas lors de la première exhumation en mars 2004. Des constatations confirmées aussi par l'expert balisticien : « Alors que le crâne était complet lors de l'autopsie du 31 mars 2004, nous avons constaté l'absence de mâchoire inférieure » Il manque en effet la mâchoire inférieure, une partie de l'os orbital gauche transpercé par les balles et la selle turcique, un os de la boîte crânienne sur lequel les projectiles ont ricoché ainsi que les dents de la partie supérieure. La fille de la victime « s'étonne de ces disparitions » alors que le corps de son père avait été escorté par des gendarmes lors de cette seconde exhumation.
« Ce sont des pièces à conviction qui ont disparu, rendant ainsi impossible l'enquête sur la mort de mon père. Comment ces expertises peuvent-elles être crédibles désormais ? Il existe bien trop de dysfonctionnements dans cette enquête », constate amèrement Isabelle Jambert, la fille de l'adjudant, qui se rendra jeudi matin au ministère de la Justice pour dire sa « colère » et son « étonnement ».
Mais ce qui ulcère encore la famille Jambert, c'est la réponse du juge d'instruction du tribunal d'Auxerre, Frédéric Ebel, qui estime dans une ordonnance de refus d'enquêter sur ces disparitions de scellés, que « l'institution judiciaire ne saurait être rendue coupable de l'état du corps (...) eu égard aux nombreuses manipulations que ce corps a subies et qu'il en résulte des altérations ». L'avocat de la famille, Me Didier Seban, a décidé de faire appel de cette ordonnance. « Ce sont des pièces nécessaires à l'enquête et la justice se doit de garantir la bonne conservation des scellés et leur traçabilité en toutes circonstances », s'indigne Didier Seban.
Dans le rapport de l'Inspection des services judiciaires (ISJ) commandé par la garde des Sceaux, Marylise Lebranchu,, les enquêteurs pointent la «succession de négligences», le «manque de rigueur» et la «passivité surprenante du parquet d'Auxerre» qui ont émaillé ce feuilleton judiciaire. Deux procureurs de la République sont directement incriminés. René Meyer, en poste de 1979 à 1986, est désigné comme le magistrat qui a enterré le rapport du gendarme Jambert. Jacques Cazals, en poste de 1992 à 1999, a mis beaucoup de mauvaise volonté à ouvrir une information judiciaire lors du dépôt de plainte avec constitution de partie civile de l'Association de défense des handicapés de l'Yonne (Adhy), en 1996.
L'ancien plus haut magistrat de France, Pierre Truche, premier président de la cour de cassation, a lui toujours soutenu ses pairs, et s'est indigné de l'audience disciplinaire à laquelle étaient convoqués Daniel Stilinovic, René Meyer, et Jacques Cazals : "Qu'est-ce que c'est que ce pays où on voit un gouvernement poursuivre les magistrats ?" A propos de l'affaire, il s'indigne et se permet d'affirmer : "On en fait toute une histoire, mais il n'y a pas d'affaire des disparues d'Auxerre." Et tente de le démontrer, cite quelques noms de jeunes filles qu'on croyait disparues, et qui ne l'étaient pas. Quitte à écorcher les faits... "On a porté le nom de Katia Chandelier sur la liste des disparues, pour se rendre finalement compte que cette femme est morte en couches." ....sauf que la jeune femme est toujours vivante.
René Meyer a perdu son titre de magistrat honoraire. Daniel Stilinovic a été mis à la retraite d'office. Jacques Cazals sera déplacé d'office.
Les affaires de l'Yonne sont aujourd'hui en sommeil.
Virginie IKKY pour Greffier Noir
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