Xavier de Hauteclocque (1897-1935), journaliste occulté de l'entre-deux-guerres.
Par Alexis Kropotkine,
le 5 aout 2015.
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La récente réimpression des livres du journaliste et agent des renseignements militaires français de l'entre-deux-guerres Xavier de Hauteclocque (1897-1935), est l'occasion de découvrir une œuvre hybride, parfois étrange ; un journalisme d'investigation à la frontière du roman d'aventure et d'espionnage dont les pages nous emmènent au plus près des forces qui s'emparèrent des masses européennes à la veille du deuxième conflit mondial. Ces mêmes forces dont l'ombre reparaît aujourd'hui à peine travestie sous les dehors du djihadisme.
Xavier de Hauteclocque, né à Saveuse en 1897, est l'héritier d'une famille dont les origines se perdent dans la nuit du Moyen Age, « toute de chevalerie » selon les mots du comte Alfred de Hauteclocque (1). Une tradition familiale des métiers d'armes perpétuée sans interruption jusqu'à nos jours et qui, le 22 aout 1914, couta à Xavier de Hauteclocque, alors adolescent, son père et son frère ainé, tombés côte à côte au champ d'honneur de la bataille d'Ethe. Engagé à 18 ans au 14ème Hussards que commandait son père, c'est décoré de la Croix de guerre qu'il revint à la vie civile. Il débuta après-guerre sa carrière de journaliste au Journal des débats puis à La liberté où il se distingua par la qualité de ses enquêtes et son réseau professionnel. Gravissant rapidement les échelons du journalisme d'investigation, il publiera ses meilleurs reportages dans les grands titres des années 1920-1930, notamment Le petit journal, Gringoire et Le crapouillot. (2)
Xavier de Hauteclocque professionnel de l'information primé et salué par ses pairs, ne s'est toutefois jamais éloigné du giron de La grande muette et fut jusqu'à sa mort en 1935, membre des services de renseignements militaires, couramment appelés 2ème bureau. Une double affiliation qu'il ne dissimule d'ailleurs nullement, la laissant transparaitre dans chacun de ses ouvrages.
Le premier caractère de l’œuvre de Xavier de Hauteclocque, son exotérisme aventureux, fut résumé par le député de Corse et directeur du journal Gringoire Horace de Carbuccia, en 1935, dans un discours à la mémoire de son collaborateur récemment disparu : « Il a partagé au péril de sa vie l'existence des baleiniers norvégiens en océan arctique. Il a traversé le Sahara Tunisien afin d'observer la guerre des Italiens contre les bandes sénoussistes. Une autre fois il faillit parvenir à la Mecque », un exploit rare et périlleux sur une terre strictement interdite aux non-musulmans, raconté dans Le Turban Vert, publié en 1930. « Dans l’Extrême Nord, ajoutait de Carbuccia, il accomplit, à la frontière soviétique un reportage extrêmement dangereux. Il réussit à pénétrer en Russie Rouge et traversa à pieds les marais arctique en compagnie de guides lapons » (3) pour porter assistance à une tentative d'évasion des bagnes soviétiques.... Le pitch de cette expédition, Perceurs de Frontières, est un condensé fidèle de l’œuvre de ce journaliste hors du commun.
Et si les livres d’investigation de Xavier de Hauteclocque se lisent à la façon des romans d’aventure, toujours ils entrebâillent aux lecteurs une porte originale sur l'arrière-cour de la politique mondiale. Le directeur-fondateur des éditions Energeia, dont la catalogue comprend plusieurs ouvrages de Xavier de Hauteclocque, rappelle « qu'il fut le premier à révéler certains dessous de la Première Guerre mondiale, relatifs par exemple au rôle des services allemands dans la Révolution russe, dans la création de l’Armée rouge, ou de la Tchéka…». Dans La guerre en masque noir, « il mit en lumière le rôle, dans les années 20 au Maroc durant la guerre du Rif, d’agents étrangers Anglais et Allemands. (…) Nos soldats tombèrent par milliers face à la rébellion d’Abd-el-Krim, armée et encadrée directement sur le terrain par ces intervenants extérieurs dont il dévoila les noms, les liens…» et publia les photographies. Il fut aussi « parmi les premiers à décrire le système concentrationnaire soviétique ».(4)
Comme la plupart des patriotes français de son époque, ce sont la menace allemande et la montée du nazisme qui constituèrent les préoccupations premières de Xavier de Hauteclocque. S'appuyant sur les réseaux de solidarité et d'entraide nobiliaire très actifs dans l'Europe de l'entre-deux-guerres, il ramasse et publie une masse d'informations sur le conflit à venir dont l'exactitude rétrospective est souvent étonnante; « il en décrit, rappelle le directeur d'Energeia, parfois avec une clairvoyance inédite, les déroulements futurs : en 1932, il annonçait en toutes lettres, dans Perceurs de frontières le commencement de la prochaine guerre à partir de Dantzig – et le partage de la Pologne entre Allemagne et U.R.S.S.» Il écrivait ainsi: « Que Dantzig (...) soit le point névralgique de l'Europe, inutile de le démontrer. Les techniciens de la politique et de la stratégie assignent cette base de départ à l'inévitable agression allemande contre la Pologne, qui se doublera d'une irruption en masse des troupes soviétiques ». (5)
Xavier de Hauteclocque a aussi publié, ou à tout le moins grandement inspiré, un roman bien connu des milieux occultistes, Les 7 têtes du Dragon Vert, imprimé en 1933 à l'initiative des services de renseignements français (6). Le narrateur de ce roman à clef mène une enquête parallèle sur l'assassinat de la famille impériale russe par les bolcheviques à Ekaterinbourg en 1918. Au fil des pages, mêlant sans cesse fiction et réalité, l’ouvrage dévoile les noms et les fonctions véritables d'agents employés contre les intérêts français, les obligeant pour certains à relocaliser leurs activités. Le roman affirme l'existence d'une société secrète globale appelée "Les verts", dont les ramifications s'étendraient de l’assassinat de la famille impériale en Russie à la montée du national-socialisme en Allemagne, en passant par l'action dissolvante de groupes ésotérico-politques très en vogue dans l'Europe de l'entre-deux-guerres. Nous y retrouvons les grands noms de l'occultisme, Papus, Raspoutine ou encore Gurdjieff, côtoyant des personnages moins connus telle l'ex-compagne de l'homme politique et financier Walther Rathenau (voir infra), grimée pour les besoins du roman en évêque mariative.
Les 7 têtes du dragon vert développent par ailleurs la thèse d'une connexion occulte entre le Tibet et le régime national-socialiste. Cette idée, toujours très contestée, a notamment été popularisée par Le Matin des Magiciens de Pauwels et Bergier qui, évoquant en termes sibyllins l'ouvrage, en attribuaient la paternité à « un agent des services de renseignements mystérieusement assassiné » (7). Le rôle de Xavier de Hauteclocque dans la genèse des 7 têtes du dragon vert, rôle que les auteurs du Matin des Magiciens, visiblement bien renseignés, se contentaient de suggérer, n'a été que récemment confirmé. (8)
Le dernier livre écrit par Xavier de Hauteclocque, Police politique hitlérienne, est l'aboutissement de 18 mois d'investigation sur le phénomène national-socialiste. Publiée peu avant son décès, cette enquête nous mène au cœur de l'Allemagne nazie, quelques mois après la Nuit des longs couteaux. Xavier de Hauteclocque rencontre à leur domicile, au péril de sa vie, des survivants donnés pour mort par la propagande hitlérienne, morts bien vivants et assignés à résidence...Il visite les lieux d’exécution, enquête sur le système concentrationnaire nazi en pleine expansion, recueille des témoignages et pousse l'audace jusqu'à pénétrer dans les locaux de l'état-major de la Gestapo à la recherche du bras droit de Himmler le « SS Gruppen Führer Reinhard Heydrich ». Dans la préface de cet ouvrage, Xavier de Hauteclocque écrivait « On ne discute pas les faits. Blêmes comme l'angoisse, souillés de sang, trempés de larmes, ceux-ci vous donnent un aperçu de ce que la dictature gammée impose à l'Allemagne et de ce que notre France aurait à subir si, par un malheur inconcevable, nous devions être vaincus dans une prochaine bataille. » (9)
Empoisonné par les services nazis au cours d'un ultime reportage en Allemagne, il meurt à Paris le 3 avril 1935. 9 ans plus tard, son cousin germain, le Maréchal Leclerc de Hauteclocque libérait la capitale. Et dans un symbole ramassé de la lutte qui en Europe, venait de mettre aux prises deux visions irréconciliables de l'homme et du monde, le 24 août 1944, comme le rapporte le Matin des Magiciens, le char de tête « ...de l'armée Leclerc de Hauteclocque était conduit par Henri Rathenau, dont l'oncle Walther avait été la première victime du nazisme.» (10) Un assassinat qu'en 1931 dans La Guerre en Masque Noir Xavier de Hauteclocque attribuait « aux bouchers de La Sainte Vehme nationaliste », ajoutant en guise d'avertissement à l'adresse de ses compatriotes « Il y a la guerre en masque rouge, celles des "biffins", des canons, des déluges de sang héroïque, au grand soleil. C'est la plus affreuse. Et il y a la guerre en masque noir, celles des espions, des traitres, des mic-macs ignobles, des ruissellements d'or abject dans la nuit. C'est la plus infâme.»
Les œuvres de Xavier de Hauteclocque sont rééditées aux Éditions Energeia.
Alexis Kropotkine, le 5 aout 2015 pour Greffier Noir
Notes:
1: Les informations biographiques sont tirées de la Notice historique et généalogique sur la maison de Hauteclocque par le comte Alfred de Hauteclocque Tome 1, Imprimerie Paillard & Cercle généalogique de Picardie, 1901, Abbeville; Tome II, publié en 1991.
Xavier de Hauteclocque avait le titre de comte.
2: Notice historique et généalogique sur la maison de Hauteclocque, Tome II, 1991, Abbeville, Cercle généalogique de Picardie
3: voir note N°2.
4: entretien avec l'auteur.
5: Xavier de Hauteclocque, Perceurs de frontières, Nouvelle revue critique, 1933 ; éditions Energeia, 2014.
6: Intelligence Online, 2008, cité dans la préface des 7 têtes du Dragon Vert, éditions Energeia.
7: Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, page 439, Gallimard, 1960.
8: Jusqu'à présent, le roman Les 7 têtes du Dragon Vert était attribué aux spécialistes de l'occultisme Pierre Mariel et Arnaud de Vogüe. Cette thèse est développée dans l'excellent ouvrage de Roger Faligot et Remi Kauffer, Le marché du diable (Fayard, 1995). Nous reproduisons ci-dessous, à titre documentaire, l'arbre généalogique de "l'occultisme éco-politique" dressé par ces 2 auteurs à partir des informations des 7 têtes du Dragon Vert, du Matin des Magiciens de Pauwels et Bergier et du Pendule de Foucault d'Umberto Eco.
9: Xavier de Hauteclocque, Police Politique Hitlérienne, Nouvelle revue critique, 1935 ; éditions Energeia, 2014.
10: Pauwels et Bergier, Le matin des magiciens, page 306, Gallimard, 1960.
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