L'auteur américain d'Une sentence pire que la mort ! s'est vu refuser l'accès à son propre livre.
Sarah Blatt-Herold, Solitary Watch (US),
le 14 octobre 2016.
Après trois décennies passées à l'isolement, William Billy Blake a appris plusieurs choses sur la folie. Pour Blake, qui purge une peine de 77 années de réclusion dans des conditions connues pour être source de troubles psychologiques, d'automutilations et de suicides, rester sain est une question de survie. Il lit, il rêve mais la plupart du temps il écrit.
Blake est un « détenu particulièrement surveillé » (escape watch) ce qui signifie, sauf révision formelle de son statut, qu’il passera probablement le reste de sa vie à l'isolement. Incarcéré à l'age de 23 ans pour trafic de drogues, il a tenté de s'évader du tribunal qui s’apprêtait à le juger. Lors de cette évasion, il s’est emparé d'une arme, a tué un policier, et en a blessé un autre. Il entame actuellement sa 29ème année d'isolement, passant 23 heures par jour dans une petite cellule de béton, derrière une solide porte de métal.
Le texte de Blake, « Une sentence pire que la mort », fait partie de la première anthologie consacrée à l'isolement carcéral. Et bien que ce livre, intitulé « L'enfer est une pièce minuscule: témoignages sur l'isolement » ait été publié en février dernier, Blake n'a pas encore eu l'opportunité de le tenir entre ses mains.
Jean Casella, codirecteur de Solitary Watch et coéditeur du livre, affirme que deux copies de L'enfer est une pièce minuscule ont été envoyées au pénitencier de Great Meadow (New York) , où Blake est actuellement incarcéré. Les exemplaires ont été expédiés directement par l'éditeur, en accord avec les règles établies par le New York State Department of Corrections and Community Supervision (DOCCS), mais ces copies ne lui sont jamais parvenues.
Le pénitencier de Great Meadow (Great Meadow Correctionnal Facility) - surnommé Comstock par la plupart des prisonniers, en référence à la ville où le centre est installé - transmet tous les livres reçus par les détenus à un Comité de supervision, le Facility Media Review Committee (FMRC). Pour déterminer si un livre est ou non autorisé, le FMRC se réfère à une série de directives. Au terme de cette évaluation, les prisonniers reçoivent un avis de notification (Inmate Disposition Notice), les informant de la décision (ci-dessous).
Blake s'est vu refuser l'accès à son propre livre pour les motifs suivants « publication incitant à la désobéissance envers les forces de l'ordre ou le personnel pénitencier, représentant un risque avéré et immédiat de désobéissance, violence, anarchie ou de rébellion contre l'autorité gouvernementale. »
La décision incrimine 14 pages mais n'indique pas les passages contrevenant au règlement, ni où ils se trouvent précisément, ce qu'exige pourtant la directive 4572 du DOCCS.
La première page signalée fait partie de la préface de Sarah Shourd. Elle y décrit sa visite à Blake, en prison. Elle raconte son large sourire, ses gestes animés et ses histoires au long cours tout en se demandant si les gens remettraient en question l'isolement s'ils avaient l'occasion de le rencontrer. Ce qu'un gardien a refusé de commenter, sous entendant qu'il ressentait la même chose.
Il n'y a aucun contenu violent dans ces pages. Il n'y a pas un seul mot susceptible d'encourager à la désobéissance ou à la rébellion, sauf à considérer que le sourire de Blake soit un exemple d'illégalité flagrante, ou la sympathie d'un garde une preuve d'anarchie.
La huitième page fait partie de l’introduction de Jean Casella et James Ridgway. Elle ne contient que des informations strictement factuelles sur l'isolement carcéral aux États-Unis.
Curieusement, 3 pages (29-31) que Blake a lui-même écrites sont jugées trop dangereuses pour qu'il les lise imprimées. A la page 29, Blake parle de l'espoir, ou ce qu’il en reste, après 25 années en cellule d'isolement dans une Special Housing Unit (SHU). La sensation d'ennui et la solitude sont si intenses, écrit-il, qu'elles ont parfois failli l'étouffer. Il raconte le bruit s'élevant des cellules adjacentes à la sienne, celui des hommes sombrant dans la folie, ceux pour qui l'isolement est insupportable et se suicident.
Blake écrit qu'il sait ce que « l'isolement fait à cette part immatérielle de nous-même, là où les espoirs survivent ou s'évanouissent, là où l'Esprit réside ». Son récit est honnête, philosophique et déchirant.
A la page 30, Blake déplore que les SHU soient « propices à une forme de colère excessivement virulente ». A la page 31, il admet avoir lui même été envahi par cette colère, si excédé par le bruit qu'il en arrivait à haïr ses voisins de cellule, devenus fous. Cette colère lui faisait peur, écrit-il, mais elle était surtout dirigée contre lui-même.
Des pages ont également été incriminées dans 3 autres textes : « Vivre dans une SHU » de C.F Villa ; « Innocent aux yeux de la loi » de Uzair Paracha ; et « Au bord de l'enfer » de Judith Vasquez.
Dans une lettre à Solitary Watch, Blake témoigne, qu'après la notification du rejet, il avait l'option soit d'expédier les livres à quelqu'un d'autre, soit de les faire détruire. En règle générale, les détenus peuvent recevoir des livres dont les pages litigieuses ont été arrachées mais les passages incriminés dans L'enfer est une pièce minuscule sont trop nombreux.
D'après Blake, le président du Comité de supervision lui a conseillé de transmettre les livres à un visiteur mais, bien qu'il ait reçu les autorisation nécessaires et suivi le protocole, le Comité a plusieurs fois omis de les transférer. Des membres du personnel ont affirmé à Blake qu'ils avaient lu son texte, ce qui l'amène à penser que le comité le fait circuler.
Concernant les accusations portées contre ses écrits, Blake rétorque : « tous mes textes parlent de la vie dans cette cage, ce que j'ai vu, ce que j'ai traversé, ce que je ressens. Cet essai, continue-t-il, est aussi doux que possible. »
Blake pense que la saisie de ses livres relève davantage de la rétorsion face à sa notoriété grandissante en tant qu'écrivain, que d'une violation des règles ou d'un risque avéré de troubles à l'ordre pénitentiaire.
Avant d'être publié dans L'enfer est une pièce minuscule, Une sentence pire que la mort a été mis en ligne sur le site de Solitary Watch en 2013. Le texte est devenu viral, générant près d'un demi million de visites.
Des lettres du monde entier ont commencé à affluer au pénitencier d'Elmira, où Blake était alors détenu.
En 2014, le DOCCS l'a déplacé à Great Meadow
Et comme c'est souvent le cas avec les correspondances carcérales, le courrier n'a pas suivi son destinataire. La plupart des livres de Blake, ainsi que les 1400 pages manuscrites du roman sur lequel il travaillait, ont été jetés lors de ce déménagement.
Ce n'est pas la première fois, témoigne Blake, qu'il se voit dénier l'accès à une publication. Récemment on lui a refusé un Atlas qu'il avait pourtant avec lui dans chacune des prisons où il a été incarcéré. La décision du FMRC ne lui a jamais été communiquée, mais il a du débourser 14 dollars pour réexpédier le livre à son domicile, sans disposer de l'opportunité de faire appel.
Malgré ces déboires, Blake se décrit comme un optimiste et un rêveur. Ses lettres sont parsemées de visages souriants ; il est drôle, sarcastique et aime parler. La science et la philosophie le fascinent, et bien qu'il ait des difficultés à trouver l'inspiration à Comstock, il a rédigé les 10 premiers chapitres d'un mémoire.
Il n'apprécie que rarement ses propres œuvres poétiques, mais il aime un de ses récents poèmes, « Evolution », dont une phrase dit « L'homme est né avec l'impérieux besoin de se déplacer:/ Asie, Europe, des lieux lointains et sauvages/ la profondeur des océans et le ciel étoilé. »
Le livre L'enfer est une pièce minuscule est, en partie, dédié à Billy Blake. Il aimerait, un jour, en ouvrir un exemplaire et lire son nom en lettres d'imprimerie.
Sarah Blatt-Herold pour Solitary Watch (États-Unis), le 20 septembre 2016.
Traduction par Alexis Kropotkine avec l'aimable autorisation des auteurs, le 13/10 pour Greffier Noir.
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