Richard ROMAN, meurtrier de substitution, le procès de la garde à vue
Par Virginie Ikky,
Le 17 avril 2009
En ce moment, où la garde à vue, "à la française" est en pleine mutation et plus que jamais remise en question par des dérapages très médiatisés, alors qu'AMNESTY INTERNATIONAL tente de sensibiliser aux abus des forces de l'ordre et à l'impunité dont elles bénéficient, revenons sur un faits-divers illustrant parfaitement la problématique des aveux en garde à vue. Richard Roman a avoué à demi-mot le meurtre et le viol d'une enfant dans l'espoir de voir enfin le juge d'instruction accompagné d'un avocat et de pouvoir se rétracter. Ses aveux ont tenu 18 heures et il est resté près de 5 ans en prison, en détention provisoire. Il faudra les jurés populaires de cour d'assises pour l'acquitter. Eut-il été jugé par des magistrats professionnels, les mêmes qui l'ont maintenu en détention provisoire, qu'il serait certainement encore en prison.
Comme beaucoup de faits-divers survenus au coeur de l'été et du mois d'août, l'affaire du meurtre affreux de la petite Céline Jourdan connût un énorme retentissement en 1987. Il reste gravé dans les mémoires en raison évidemment des surnoms donnés aux coupables désignés, la peur également qu'inspirait un duo de meurtriers d'enfant. Il n'y a en effet que très peu d'exemples de meurtriers médiatiques agissant en duo, comme Francis Heaulme qui a eu des complices. Un tandem pédophile comme celui que semblaient former Roman et Gentil paraissait presque inédit. Et mal assorti, lorsque l'on découvrit que l'un des accusés, Richard Roman, venait d'une famille aisée et parisienne, au contraire de Didier Gentil, venant lui d'une famille déshéritée. Il n'en fallait pas plus pour bâtir une histoire de compères dominant/dominé, Richard Roman endossant le rôle du mentor hippie, celui d'un Charles Manson français.
Richard Roman aura eu à subir toutes les tares de la justice pénale française : la garde à vue en milieu hostile, la détention provisoire poussée à son maximum, la pression des médias mettant de l'huile sur le feu, pour finir par être acquitté en Cour d'Assises, non pas au bénéfice du doute, mais par impossibilité matérielle d'avoir commis le crime. Une gabegie qui n'aurait pas dû dépasser le stade de l'instruction.
Céline Jourdan est enlevée le 26 juillet 1988 et retrouvée le lendemain. Elle a été violée et tuée à coups de pierre. C'est la fille du cafetier du village de la MOTTE DU CAIRE. Dans ce petit village, le marginal du coin est vite montré du doigt, et Didier Gentil est arrêté le premier. Il balance le nom de Richard Roman pour se dédouaner. Il avoue le viol mais affirme que c'est Roman qui a décidé de commettre le crime et a tué l'enfant. On perquisitionne le tipi dans lequel il vit et on y découvre par chance un peu de cannabis. Cela va permettre de lui infliger une garde à vue à rallonge de 96 heures alors qu'on l'accuse d'un viol et d'un meurtre et qu'il ne devrait rester en garde à vue que 48 heures.
L'affaire Richard Roman relance une fois de plus le procès des aveux lors de la garde à vue, une garde à vue qui pour Roman se passe dans la gendarmerie du village de Céline Jourdan, en compagnie de gendarmes qu'on imagine chauffés à blanc par le viol et le meurtre d'une gamine de sept ans qu'ils devaient tous connaître. Gendarmes qui n'appréciaient déjà guère le personnage de Roman, lui l'ingénieur agricole qui avait adopté un mode de vie en marge. Encore aujourd'hui, alors que beaucoup de médias en font des reportages, la vie en tipi ou en yourte fait jaser.
En 1989, cela ne passait pas du tout auprès des habitants de la MOTTE DU CAIRE. La garde à vue est donc éreintante pour Roman qui finit par « avouer » si l'on peut dire au cours d'un simulacre ahurissant, une prière avec un gendarme venu de Toulouse, censé jouer le gentil gendarme et faire avouer Roman pour lui soulager la conscience. Selon une mécanique bien huilée qui a fait ses preuves, le gardé à vue est soumis à une pression très intense, sans doute des violences, et quand il est « mûr » on vient lui annoncer un élément de preuve bidon pour le faire craquer. Le gendarme de Toulouse dira à Roman que les analyses ADN le confondent , ce qui est faux, et récitera alors une prière de pardon, agenouillé avec Roman dans les locaux de la gendarmerie. Voici ce que dira Roman en interview sur ces aveux :
"Un gendarme de Toulouse, spécialisé dans les affaires criminelles est arrivé. Tout de suite l'ambiance a changé. Il s'est montré aimable et professionnel. Nous avons commencé à parler en fumant les cigarettes qu'il m'offrait. Et puis soudain, il m'a dit: les expertises montrent que tu étais présent."
Le gendarme entame:
"Je demande pardon à Dieu"
Il incite Richard à répéter après lui.
"-Je demande pardon à Dieu à la Vierge Marie et à tous les saints
-A la Vierge Marie et à tous les saints
-Aux parents de Céline
-Aux parents de Céline
-Pour le mal que j'ai pu faire
-Pour le mal que j'ai pu faire"
Richard Roman n'a plus ensuite qu'à répondre oui à toutes les questions qu'on lui pose. Il aura beau se rétracter dès qu'il est présenté devant le Juge d'instruction, rien n'y fera, quand bien même aucun élément matériel ne l'accuse. Car c'est bien là la fonction perverse de la garde à vue, instaurer un huis-clos de terreur pour faire avouer un suspect quand on a rien contre lui.
Commence alors le marathon judiciaire de Richard Roman, qui d'après les témoignages de villageois, qui essaieront d'ailleurs à tout prix de se rétracter, n'a pas pu se trouver à deux endroits en même temps et donc n'a pu tuer l'enfant. Une affaire qui devrait donc être simple si la famille de Céline n'avait pas perdu la tête. Car l'affaire Roman est aussi l'affaire de Didier Gentil le vrai coupable resté complètement en arrière plan. Jamais la famille ne voudra en effet se contenter de Didier Gentil et accepter l'innocence de Roman. La thèse inverse ne les aurait sûrement pas déranger car c'est la tête de Roman que ces gens voulaient. On verra même le père de Céline fournir dans un reportage télévisé des excuses à Didier Gentil, disant qu'il est moins coupable que Roman et qu'il lui en veut moins !!! Ainsi, alors qu'une reconstitution est organisée dans le village et qu'elle allait sûrement démontrer une faille dans l'accusation, la famille de Céline la torpille en agressant Roman et surtout son avocat, Maître Henri LECLERC. Ceci entraine la présentation d'une requête en suspicion légitime de la part des avocats de Richard Roman pour essayer de voir confier l'instruction à un magistrat d'une autre juridiction afin d'éviter le climat de lynchage qui règne dans la région. Cette demande est rejetée par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 20 septembre 1989.
Le juge d'instruction BONNET, prendra ensuite la décision courageuse de rendre une ordonnance de non-lieu, le 22 octobre 1990 à l'encontre de Roman. Elle est bien vite annulée par les juges de la chambre de l'accusation, qui prendront bien plus en considération les demandes de la famille de la victime que les éléments de preuve .
En ordonnant un supplément d'information, les juges remettent Richard Roman en examen. Contre Roman, pourtant, il n'y a aucun élément de preuve. En effet toutes les traces sont celles de Didier Gentil , et c'est lui qui a été aperçu s'en allant avec l'enfant. Dans l'attente du procès, Richard Roman est victime d'une agression à ANNECY, dont il accuse le père de Céline, et est finalement condamné pour dénonciation calomnieuse. Il est remis en prison à la veille du procès.
Au procès, fatalement, Richard Roman fait une mauvaise impression, une constance chez les gens accusés à tort qui se montrent très souvent désagréables devant les juges. Il ne fait aucun effort de présentation et ne semble pas intéressé par son devenir. Après quelques jours de procès, Didier Gentil finit par prendre la parole « Le juge Bonnet puis la Cour, en ce moment, voient qu'il serait innocent. Alors j'ai des doutes sur la vérité. Je demande pardon à Richard, à sa famille et à la famille (de Céline). » Didier Gentil poursuit en demandant que des psychiatres soient de nouveau appelés à la barre pour lui permettre de « comprendre ce qui se passe dans sa tête ». Il ajoute : « Je voudrais savoir s'il n'y a pas la possibilité que j'aie rêvé. Dans mon intérieur à moi, je vois Richard Roman présent le soir des faits. Pour moi, il a toujours été coupable, mais je veux savoir si je vis dans la réalité ou dans ma vie intérieure. »
L'avocat général, Michel Legrand, est soulagé. Il avait averti qu'il ne pourrait requérir contre Roman face à tant d'incohérences et de contradictions. Cette fois, il laisse entendre qu'il ne pourra poursuivre désormais l'accusation contre Roman. « Didier Gentil, dit-il, a commis deux crimes : l'assassinat de l'enfant, insoutenable, et il a failli condamner un homme à la mort civile en l'envoyant pour trente ans en prison. » Il poursuit : « La Cour a compris ce que l'on ressentait depuis quatre ans. Gentil a dit ce que tout le monde attendait de lui. On s'est précipité sans mesure, de manière délirante, sur un homme. »
Didier Gentil a beau avoué qu'il a accusé Roman à tort, rien n'y fait aux yeux de la famille de la victime. Celle-ci demeurera toujours persuadé que Didier Gentil est trop faible d'esprit et influençable pour n'avoir pas eu de complice, n'avoir pas suivi quelqu'un. Didier Gentil n'est pas à la hauteur et n'a pas la stature de la cruauté de son crime, lui l'ouvrier agricole simple d'esprit et qui fut autrefois un sympathique pilier du café du village. Richard Roman sera acquitté le 17 décembre 1992 et transporté hors du Tribunal avec des mesures de sécurité extrêmes. Didier Gentil est condamné à la perpétuité,
Pour revenir sur les duos criminels, Didier Gentil passera une seconde fois devant une cour d'assises avec Francis Heaulme en avril 1997, pour le meurtre en 1987 d'un jeune soldat, torturé et violé avant d'être tué. Ils seront tous les deux acquittés à la surprise générale.
Richard Roman est mort à 49 ans le 23 juin 2008 en raison d'une insuffisance respiratoire. Il a fait entre-temps de nombreux séjours en hôpital psychiatrique et vivait tant bien que mal à ANNECY. Peu après son acquittement, la police l'interpella, il était en train de parler aux arbres, le long de la Seine. C'est un trouble à l'ordre public... Au Tribunal de Bobigny, Richard Roman apparait tourmenté et dur. Finie l'euphorie de la libération. Trois mois plus tard, sur un plateau télé, Alain Delon l'appelait encore l' « assassin ». Il se faisait appeler Joseph, son deuxième prénom. Le premier était devenu trop lourd à porter. Il hébergeait des marginaux de passage, aimait prier dans les églises de la ville, Le soir, il laissait courir son chien dans les parcs. Il vivait avec une allocation Cotorep, pour adulte handicapé. Il souffrait de bouffées délirantes. Le dispensaire où il recevait ses soins avait déménagé. Trois semaines plus tôt, la police lui avait retiré Mila, sa chienne qu'il s'obstinait à promener sans laisse ni collier. Son mode de vie marginal n'avait pas changé et il n'était comme toujours pas très apprécié de ses voisins. D'aucuns colporteront la rumeur qu'il s'est suicidé et que cela pourrait bien être un aveu de culpabilité. Une vue très noble de la justice..Les expertises ont prouvé qu'il ne s'était pas suicidé.
Depuis 2011, l'avocat peut assister le gardé à vue pendant les auditions.
Virginie IKKY pour Greffier Noir
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