Marie LAFARGE née CAPELLE, la vraie Madame BOVARY
Par Virginie Ikky,
Le 24 août 2014
Dans son roman "Madame Bovary", Gustave Flaubert s'est grandement inspiré de l'histoire tragique de Marie CAPELLE, encore affublée aujourd'hui de l'étiquette d'empoisonneuse. Une injustice selon l'association Marie Capelle-Lafarge, qui a décidé en 2011 de tenter une demande en révision de la condamnation de cette femme.
Née le 15 janvier 1816, Marie CAPELLE est issue d'une glorieuse famille dont le père était baron d'empire et lieutenant. Il subit cependant le même sort que les soldats de Napoléon avec la restauration et rejoint la cohorte des « demi-soldes ». Il est tué dans un accident de chasse en 1928, et sa mère meurt peu après. Par chance, Marie CAPELLE descendrait par sa grand-mère maternelle de Louis XIII et de Louis XIV. On murmure en effet que sa grand-mère, Herminie CAMPTON, fut le fruit d'une liaison entre Madame de GENLIS et Philippe ÉGALITE, duc d'Orléans. En tout cas, la fille légitime de Madame de GENLIS considère Herminie comme sa soeur et la marie à un riche bourgeois, Jacques COLLARD. Le couple a quatre enfants, dont la mère de Marie.
Marie est ainsi recueillie par une riche famille et vit au château de Villers-Hélon. Elle mène une adolescence dorée et est courtisée par le comte Charles CHARPENTIER DE COSSIGNY. Cependant, en 1838, Jacques COLLARD décède léguant toute sa fortune à son fils ainé. Marie reçoit une dot de 25.000 francs-or et dégringole l'échelle sociale. Le Comte tourne les talons. Marie a 22 ans et si elle ne trouve pas d'époux, c'est la mort sociale qui l'attend.
Charles POUCH-LAFARGE alors en voyage d'affaire dans la capitale, est présentée à Marie par des amis communs. Charles LAFARGE est maître de forge au "Glandier", commune de Beyssac en Corrèze. Au cours de cette rencontre, chacun présente ses garanties financières et ses bonnes moeurs, puis dans la précipitation la plus totale, le mariage est organisé et célébré le 11 août 1839. Marie est bien sûre très désabusée de devoir partir en Corrèze auprès d'un époux assez rustre mais se rassure en s'imaginant châtelaine dans une campagne romantique.
Le lendemain de la cérémonie, les époux rejoignent en diligence la Corrèze et arrivent au Glandier le 15 août 1839. Mais à l'arrivée, quelle ne fut pas la déception de Marie lorsqu'elle contempla sa nouvelle demeure et ses environs. Les récits relatés par son mari semblaient bien éloignés de la réalité. Le merveilleux château n'était autre qu'un ancien couvent délabré sommairement transformé en habitation, et l'usine qui, selon lui, assurait sa prospérité n'était que ruine. L'entreprise paraissait de toute évidence au bord de la faillite. Marie est accueillie on ne peut plus froidement pas une belle-mère revêche. La maison abrite encore un autre couple et un certain Denis BARBIER.
Le choc fut tel qu'aussitôt Marie s'isola dans sa chambre et rédigea une lettre à son mari dans laquelle elle exprimait tout son dédain et le priait de la laisser partir, le menaçant même de mettre fin à ses jours. Charles patienta car Marie n'avait pas vraiment le choix. Elle finit par s'adapter à sa nouvelle existence au Glandier et revint à des sentiments meilleurs pour son mari. Elle fit même un testament en sa faveur, lui léguant tous ses biens. Ce dernier, touché par son geste, fit acte de réciprocité.
En novembre 1839, Charles POUCH-LAFARGE décide d'entreprendre un voyage d'affaire à Paris de manière à résoudre ses difficultés financières et à déposer un brevet d'invention pour la découverte d'un nouveau procédé de fabrication du fer. Durant son absence, Marie CAPELLE rédige un courrier à l'intention de M. EYSSARTIER, pharmacien à Uzerche, afin d'obtenir de la mort aux rats. En effet, le château et les forges en étaient infestés. Elle fait également confectionner par la cuisinière du Glandier, des gâteaux afin de les envoyer à son mari, accompagnés de son portrait.
Le 18 décembre 1839, Charles reçoit les gâteaux, des choux à la crème. Dés le lendemain, il reste alité toute la journée suite à de nombreux vomissements et des migraines. Il décide de retourner au Glandier le 4 janvier 1840. A son arrivée, il fait venir le médecin de famille qui crut soigner alors une banale angine. Dans le même temps, Marie CAPELLE envoya une lettre à M. EYSSARTIER, pharmacien à Uzerche, afin d'obtenir à nouveau de la mort aux rats. L'état de Charles empire et il meurt au Glandier le 14 janvier 1840 à 6 heures du matin dans d'atroces souffrances sans que le médecin ne puisse rien faire. Sa famille soupçonne Marie depuis le début.
Le jour du décès, son beau-frère adresse un courrier au procureur du roi dans lequel il évoque l'empoisonnement criminel par sa femme, à l'arsenic. Une instruction est ouverte. Le 16 janvier 1840, l'autopsie du défunt est pratiquée mais ne révèle rien. Divers organes de son corps sont tout de même prélevés pour être soumis à expertise.
Une perquisition est menée au Glandier, et on y découvre la présence d'arsenic dans diverses potions destinées à Charles. Par conséquent, le procureur du roi requiert M. le juge d'Instruction, M. Léon LACHAPELLE, de décerner un mandat d'arrêt contre Marie Fortunée Capelle. Le 23 janvier 1840, à 9 heures du matin les brigadiers et gendarmes, MAGNE et DEON, procèdent à l'arrestation de Marie CAPELLE, au Glandier. Cette dernière est transportée à la maison d'arrêt de Brive.
Le 31 janvier 1840, Jacques Antoine DESROTE, commissaire de police de la ville de Paris, procède à la perquisition de l'appartement où a séjourné Charles POUCH-LAFARGE à Paris, afin de rechercher d'éventuels fragments de gâteaux.
Rien n'est retrouvé. Le garçon d'hôtel confirme l'arrivée du paquet suspect le 18 décembre 1839 ainsi que les vomissements de M. POUCH-LAFARGE, le lendemain. Le 7 février 1840, le juge d'instruction rend visite à Marie Capelle à la maison d'arrêt de Brive afin de l'interroger sur sa dispute avec son mari, sur son testament et sur les achats successifs de mort aux rats. Durant une perquisition, le 9 février 1840, au Glandier, les officiers de gendarmerie, recherchant des preuves quant à l'empoisonnement, découvrent dans un secrétaire une boîte contenant des diamants. Il est improbable qu'ils appartiennent à Marie et celle-ci affirme que son amie, Madame DE LEAUTAUD les lui a donnés. Ce que cette dernière ne confirme pas.
Marie Capelle est inculpée d'avoir, dans le courant du mois de juin 1839, soustrait frauduleusement une parure de diamant au château de Busagny, près de Pontoise, au préjudice de son ancienne amie, Mme de Léautaud. Le procès s'ouvre le 9 juillet 1840 sous la présidence de M. Lavialle-de-Masmorel. Les jurés la déclarent coupable le 15 juillet 1840 et la condamne à 2 ans de prison. La partie civile obtient l'impression à mille exemplaires du jugement dans la presse.
Le procès de l'empoisonnement de Charles s'ouvre le 3 septembre 1840, sous la présidence de M. Barny. Marie Capelle est défendue par Me Paillet, bâtonnier du barreau de Paris et l'accusation est représentée par M. Decoux, avocat Général à la Cour royale de Limoges. L'ascendance de l'accusée joue largement contre elle et la presse, que le Pouvoir avait muselée par les fameuses lois de septembre 1835, allait s'empresser de dénoncer cette « bâtarde orléaniste devenue empoisonneuse ». Le 9 septembre 1835, sous Louis-Philippe, fut en effet promulguée une loi qui muselait la presse et aggravait les peine prévue par la loi du 17 mai 1819. Ainsi l’article 2 stipulait que « L’offense au roi […] lorsqu’elle a pour but d’exciter à la haine ou au mépris de sa personne ou de son autorité constitutionnelle, est un attentat à la sûreté de l’État. » Les journaux n’avaient pas le droit de d’incriminer le roi en cas de mauvaise gestion gouvernementale. Les dessins, gravures, lithographies, emblèmes – mais aussi les pièces de théâtre et spectacles – ne pouvaient être publiés ou représentés « sans l’autorisation préalable du ministre de l’intérieur, à Paris, et des préfets, dans les départements ». Les contrevenants risquaient des peines de prison, de lourdes amendes et la fermeture du journal. Les journaux incapables de payer les amendes ne pouvaient pas faire appel à la générosité de leurs lecteurs.
Le procès est exceptionnel et voit défiler 150 témoins. Mais c'est surtout une féroce bataille d'experts. Le 5 septembre 1840, la cour étudie un rapport de l'investigation chimique de l'estomac et de son liquide ainsi que des vomissements de Charles Pouch-Lafarge effectuée par Dupuytren et Dubois père et fils, tous trois chimistes de Limoges. Ce dernier ne fait nullement état de la présence d'arsenic. Dans un même temps, la Cour d'assises du département de la Corrèze ordonne l'exhumation du corps de Charles Pouch-Lafarge aux fins d'autopsie. Celle-ci est réalisée le 7 septembre 1840, à Beyssac, en présence des docteurs Massenat et Borie de Brive, Lafosse, Fage et Filliol, membres du jury médical de Tulle, ainsi que de Dupuytren, Dubois père et fils de Limoges.
Plusieurs procédés de l'époque sont utilisés, celui d'Orfila, de Marsh et de Devergie. Les résultats sont négatifs concernant la présence d'arsenic. Une nouvelle expertise est alors ordonnée. Un rapport d'expertise et d'analyse sur des pièces à conviction du Glandier est réalisé par Dupuytren et Dubois père et fils. Il révèle la présence d'arsenic dans du lait de poule, de l'eau panée et de la poudre ainsi que sur un filtre et sur une boîte.
Pour faire le tri parmi ces expertises contradictoires, le 19 septembre 1840, deux experts de renom sont assignés au procès : M. Mathieu Orfila, doyen de la faculté de médecine de Paris, et M. Alexandre Bussy, docteur en médecine, professeur de chimie à l'École de pharmacie de Paris.
Ils sont requis pour comparaître et procéder à une expertise devant les Assises de Tulle qui révèle la présence d'arsenic dans l'estomac du défunt et de son liquide ainsi que dans les viscères thoraciques et abdominaux : un demi-milligramme. En dernier recours, la défense de Marie demande une contre-expertise qui lui est accordée. Mais François-Vincent Raspail, chimiste, n'arrivera pas à temps au procès en raison d'une panne de voiture.
Le verdict est rendu la veille de son arrivée. Marie Fortunée Capelle est déclarée coupable d'empoisonnement sur son mari et condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Le 12 décembre 1840, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation formé par Marie Capelle.
Et pourtant, il est fort probable que Marie ait été innocente. En effet, le corps humain contient naturellement de l'arsenic, ce qui explique la découverte d'un demi-milligramme. Par ailleurs, lors des soins administrés à Charles, du colcotar lui a été administré, qui contient également de cette substance. Par ailleurs, le professeur Orfila était l'auteur d'une bourde monumentale en 1835 lorsqu'il avait publié un rapport à sensation disant avoir analysé les bouillons servis dans les grands restaurants parisiens et avoir trouvé de l'arsenic dans 200 d'entre eux. Panique générale, sauf que c'est en fait l'un des réactifs qu'il utilisait qui contenait de l'arsenic.
Charles Lafarge a pu mourir de plusieurs raisons inexpliquées à l'époque. La première étant l'intoxication à cause des gâteaux à la crème qui avaient voyagé plusieurs jours. Le lait et le beurre non pasteurisés avaient pu tourné. Il a également pu décédé des suites de la typhoïde que l'on ne savait ni diagnostiquer ni soigner à l'époque.
Marie Capelle quitta, le 8 novembre 1841, la prison de Tulle pour être transférée à la maison centrale de Montpellier afin d'y subir sa peine. Elle y écrit deux livres, ses mémoires et « dans le silence receuilli de ma prison ». Sa santé s'altéra progressivement durant sa détention et par conséquent, elle fut admise en 1851 à l'asile de Saint-Paul-de-Mausole, à Saint-Rémy-de-Provence. Elle passa, en fait, 10 ans en prison puis fut ensuite graciée par décret en 1852 par Louis Napoléon. Marie Capelle décéda à Ussat, en Ariège, le 7 septembre 1852, à l'âge de 37 ans.
Son histoire a sans nul doute inspiré Gustave Flaubert pour son roman Madame BOVARY. On parle également de Léon Tolstoï pour son personnage d'Anna KARENINE. Les Chartreux rachetèrent le Glandier et y restèrent jusqu'aux lois de séparations de 1901. Actuellement, il accueille un centre médico-social pour le département de Paris.
On peut encore lire un témoignage comtemporain de l'affaire, celui de la duchesse de Dino :
" (...). Tant mieux pour sa parenté si elle est innocente du crime, mais j'avoue que, vu la discussion des premiers et seconds experts, ces énormes achats d'arsenic, et, surtout, cette transition si subite d'une horrible répugnance à des tendresses excessives pour son mari, elle me restera toujours assez suspecte pour désirer une autre garde-malade si j'avais des tisanes à faire. Une chose qui me choque tout particulièrement de (sa) part, ce sont ces rires inextinguibles pendant la déposition emphatique et, à la vérité, ridicule, d'un des témoins à charge (...). Plus une personne, sous le coup d'une pareille accusation, serait innocente, plus elle devrait souffrir, et tout en conservant le calme d'une bonne conscience, elle devrait être occupée à d'autres idées que de se livrer à de pareils éclats d'hilarité.
(...)
Il n'a été question hier soir, au salon, que de Mme Lafarge; on est ici, comme partout, fort divisé d'opinions sur son compte. Ceux qui la croient innocente disent que le mari n'est pas mort empoisonné mais de l'usage des mouches cantharides qu'il prenait pour être un vaillant mari, et que c'est à (celle-ci) qu'il faut attribuer le prompt changement des dispositions de sa femme (...). Ceux qui persistent à (la) croire coupable disent qu'il faut plutôt croire les premiers experts qui ont opéré sur les matières fraîches, que ceux qui ont analysé des matières incomplètes, décomposées; ils s'appuient sur les mauvaises tendances, hier avérées, de l'accusée, sur ses lettres, ses habitudes de mensonges et de comédie, sa mauvaise réputation dès sa première jeunesse, la hâte que sa famille avait de la marier pour s'en défaire, au point d'avoir recours à un bureau matrimonial. Elle est petite-fille d'une Mme Collard (...), Hermine, élève de Mme de Genlis, et assez généralement supposée être sa fille et celle de M. le duc d'Orléans, père du Roi des Français actuel. C'est à cette filiation qu'on attribue l'intérêt très vif qu'on prend aux Tuileries pour Mme Lafarge. Dans son affaire des diamants, on la juge selon le monde et l'opinion auquels on appartient (...) tout ce bord-là la croit coupable (...) Toute la démocratie, charmée de trouver en une femme du beau monde, tient la fable inventée par Mme Lafarge contre Mme Léautaud pour véritable".
(duchesse de Dino, les 10 et 14 septembre 1840, dans "Chronique, de 1831 à 1862" - Plon, 1909, pp. 371 à 376).
Virginie IKKY pour Greffier Noir
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