Attentat contre Charlie Hebdo : le point sur l'enquête ; pour Claude Hermant, le 7 janvier n'a pas eu lieu.
Par Alexis Kropotkine,
le 5 juillet 2017.
Deux femmes et un homme ont été interpellés à Roubaix et Paris en début de semaine dans le cadre de l'enquête sur les armes du 7-9 janvier 2015. Ces trois individus, qui intéressent les enquêteurs en raison notamment de traces ADN découvertes sur l'une des armes de l'assassin de l'épicerie casher, seraient des proches de Samir Ladjali, un trafiquant du nord de la France suspecté d'être le chaînon manquant entre Amedy Coulibaly et Claude Hermant. A l'heure où nous écrivons ces lignes, aucune information n'a encore filtré sur l'identité et le profil de l'homme, âgé de 42 ans, interpellé en région parisienne. (NB : A l'issue de ces gardes à vue, un dénommé Abdelaziz S. a été mis en examen le samedi 8 juillet pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Voir la note à la suite de cet article)
Claude Hermant, survivaliste et militant de l'extrême droite autonome, avait importé de Slovaquie, dans le courant de l'année 2014, la majeure partie de l'arsenal du 7-9 janvier via la société Seth Outdoor, basée à Haubourdin (contrairement à ce qu'écrivait l'AFP il y a quelques semaines, Claude Hermant est l'importateur direct de la plupart des armes slovaques impliquées dans les attentats, sans l'intervention d'intermédiaire à l'exception d'une arme passée entre les mains d'un trafiquant belge, Patrick H.).
Claude Hermant clame depuis son arrestation le 20 janvier 2015 que les armes litigieuses participaient d'une mission d'infiltration pour le compte de la gendarmerie. Et si son statut d'indicateur appointé et immatriculé n'a jamais été contesté par ses officiers traitants, ceux-ci affirment que Claude Hermant trafiquait, dans le dos des services, des armes pour son propre compte. La barbouze a récemment contre-attaqué en portant plainte le 28 avril 2017 contre la gendarmerie et les douanes pour "mise en danger de la vie d'autrui".
Claude Hermant et Amedy Coulibaly, histoire d'un saucissonnage : le 7 janvier n'a pas eu lieu
Dans le système pénal français, les enquêtes et le jugement des affaires de terrorisme sont théoriquement centralisés à Paris, suivant un cheminement conduisant classiquement de la SDAT et la galerie Saint-Eloi aux tribunaux « spécialement composés ».
Les limiers de l'antiterrorisme n'ayant pas revendiqué le dossier Claude Hermant, ce dernier sera jugé à Lille, à l'automne, en compagnie d'une dizaine d'individus, pour trafic d'armes en bande organisée. Il restera d'ici là en détention, le tribunal de Lille (9ème ch. correctionnelle) ayant rejeté le vendredi 2 juin 2017 la dixième demande de remise en liberté, déposée par ses avocats, Maitre Maxime Moulins et Guillaume Ghestem. Cette ultime procédure avait peu de chance d'aboutir puisqu'une première prolongation de la détention de la barbouze des Hauts-de-France avait été validée un mois plus tôt par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 26 avril 2017. (décision reproduite à la suite de cet article).
Sur le fond et nonobstant son maintien en détention, Claude Hermant échappe donc à l'inculpation d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. D'après les sources proches de l’enquête citées par La Voix du Nord, les investigations n'auraient pas permis d'établir de « lien direct » entre Amedy Coulibaly et celui que la gendarmerie employait depuis mars 2013 comme informateur.
Par cette décision illustrant magistralement le caractère politique des mises en examen fondées sur l'article L421-1 du code pénal réprimant les infractions terroristes, la justice considère officiellement que dans le « cas d'espèce Claude Hermant », l'attentat du 7 janvier n'a pas eu lieu.
Le saucissonnage des dossiers Hermant et Charlie Hebdo, tout comme leur timide jonction tardive, n'ont pas été sans conséquence. Tout d'abord, l'identité de l'importateur des armes d'Amedy Coulibaly aura été dissimulée aux parties durant plusieurs trimestres : identifié, numéros de série des armes à l'appui, par une note des renseignements slovaques et d'Europol du 14-16 janvier 2015, le nom de Claude Hermant n'est apparu officiellement dans la procédure parisienne qu'en juin 2015.
Une douzaine d'interpellations en avril 2017 ont débouché sur 3 mises en examen.
Claude Hermant n'a par ailleurs été entendu qu'à deux reprises par les enquêteurs de la SDAT, une première fois en décembre 2015, 11 mois après les attentats, une seconde fois en avril 2017 entre les deux tours de l’élection présidentielle, sans toutefois, comme nous le rappelions à l'instant, être mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Un calendrier intéressant, puisque c'est au cœur de la période électorale, 2 ans et 4 mois après les faits, que l'antiterrorisme a choisi d'interpeller et d'interroger les individus mis en cause par l'instruction lilloise, soit une douzaine de personnes pour certaines proches de l’extrême droite survivaliste et de l'appareil sécuritaire. Parallèlement à ces interpellations, la justice a émis un mandat d’arrêt international contre deux résidents belges Michel C. et Metin Karasular. Ce dernier, suspecté de trafic d'armes, gérait le garage auquel Amedy Coulibaly a cédé, peu de temps avant les attentats, le véhicule de sa compagne Hayat Boumeddiene.
Si la piste de l'extrême-droite semble se terminer sur une impasse (à l'image de "l'hypothèse Antoine Denevi", cet ancien responsable régional du groupuscule Troisième Voie qui, au moment de son interpellation en Espagne l'année dernière, avait été présenté par la quasi totalité de la presse - à l'exception notable de La Voix du Nord reprise ici par le Greffier Noir - comme le « fournisseur présumé des armes d'Amedy Coulibaly » avant d'être discrètement libéré 10 mois plus tard), ces gardes à vue du mois d'avril 2017 ont néanmoins débouché sur 3 mises en examen pour faits de terrorisme parmi lesquelles, sans surprise, nous trouvons Samir Ladjali, désigné par Claude Hermant comme le principal sinon l'unique client de son trafic d'armes neutralisées, censément sous le contrôle des services de renseignement de la gendarmerie. Deux autres délinquants ont fait par ailleurs leur apparition dans le dossier parisien, Miguel M. et Abdelaziz A., soupçonnés « d'être liés à un possible réseau de trafic d'armes entre la Belgique et la France », selon l'AFP.
Les trois nouvelles gardes à vue annoncées aujourd'hui s'inscrivent dans le prolongement immédiat de ces précédentes investigations. Elles pourraient durer 96H.
Alexis Kropotkine, le 5 juillet 2017, pour le Greffier Noir
Note (13 juillet) : Abdelaziz S., qui a admis devant les enquêteurs connaître Amedy Coulibaly, a été mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, le samedi 8 juillet à l'issue de sa garde à vue.
Selon une source proche de l'enquête, citée par Le Parisien et l'AFP, « ...le suspect n'a fourni aucune explication satisfaisante pour justifier la présence de son ADN à l'intérieur de l'arme, mais assuré n'avoir eu aucune connaissance des intentions de Coulibaly ».
Les jeunes femmes seraient quant à elles hors de cause.
VD1 26 AVRIL 2017
REJET
M. XX président,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six avril deux mille dix-sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire X , les observations de la société civile professionnelle WAQUET , FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SALOMON ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Claude Hermant ,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de DOUAI, en date du 22 janvier 2017, qui, dans l'information suivie contre lui, des chefs d'infractions à la législation sur les armes et association de malfaiteurs, a ordonné la prolongation de sa détention provisoire ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 144, 145-1, alinéa 3, et 593 du code de procédure pénale ;
en ce que l'arrêt attaqué a ordonné la prolongation de la détention pour quatre mois ;
aux motifs que les derniers actes d'investigation ont mis en lumière que la plupart des armes acquises par l'intermédiaire de M. Claude Hermant n'ont pas encore été retrouvées et que ce dernier apparaît être le seul à connaître leur destination ; qu'il s'agit d'armes létales, dont la circulation, ou le stockage, en très grand nombre, fait courir un risque particulièrement important pour la sécurité des personnes et des biens, lui-même déclarant qu'elles devaient être utilisées pour des « braquages » ; que certaines ont été découvertes en possession de A. Coulibaly mis en cause dans un attentat terroriste en 2015 ; qu'en l'état de la procédure, une remise en liberté de M. Hermant ferait courir un risque que ces armes puissent être remises et utilisées à ces mêmes fins ; alors que la chambre de l'instruction ne peut prolonger pour une durée de quatre mois la durée de deux ans prévue à l'article 145-1 du code de procédure pénale qu'à titre exceptionnel, lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité ; que le risque évoqué par l'arrêt attaqué pour justifier en l'espèce la prolongation de la détention - à savoir que les armes qu'il est reproché à M. Hermant d'avoir mises en circulation et qui n'ont pas encore été retrouvées ne soient utilisées, notamment à des fins terroristes - existe déjà et découle des faits reprochés, vieux de plus de deux ans ; qu'en se déterminant par des motifs impropres à caractériser le risque d'une particulière gravité devant être causé par la remise en liberté, la chambre de l'instruction a privé sa décision de toute base légale ; et aux motifs que, seule l'interpellation de l'intéressé a permis de mettre fin au trafic ; que s'agissant d'un trafic lucratif et organisé, il existe des risques de renouvellement de l'infraction ; que (...) l'objet de l'information porte sur une délinquance faisant aucun (sic) risque particulièrement grave pour la sécurité des personnes et des biens ; alors qu'en se déterminant par un motif parfaitement général et impropre à caractériser un risque de renouvellement des faits, la cour n'a pas mieux justifié sa décision ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, soupçonné d'avoir organisé, dans le nord de la France et en Belgique, depuis 2013, une filière internationale d'achat et de revente, après remise en état, de nombreuses armes de guerre, M. Hermant a été mis en examen, des chefs d'infractions à la législation sur les armes commises, pour certaines, en bande organisée, et d'association de malfaiteurs, et placé en détention provisoire à compter du 23 janvier 2015 ; que, par ordonnance en date du 19 janvier 2017, le juge des libertés et de la détention a saisi la chambre de l'instruction aux fins de prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire, pour une durée de quatre mois ;
Attendu que, pour ordonner cette prolongation, l'arrêt prononce par les motifs partiellement reproduits au moyen et énonce, en outre, que la détention provisoire est l'unique moyen d'empêcher une concertation entre les personnes mises en examen et de garantir le maintien de M. Hermant à la disposition de la justice, objectifs que ne permettraient pas d'atteindre son placement sous contrôle judiciaire ou son assignation à résidence avec surveillance électronique ; que des investigations demeurent en cours, le délai prévisible d'achèvement de la procédure étant de quatre mois ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des considérations de droit et de fait qui satisfont aux exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants, 144, 145-1, alinéa 3, et 145-3 du code de procédure pénale, et qui, notamment, caractérisent, de manière distincte, tant la nécessité de prévenir le renouvellement des infractions objets de l'information que le risque d'une particulière gravité que causerait, pour la sécurité des personnes et des biens, la mise en liberté de la personne mise en examen, la chambre de l'instruction a, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées, justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus...
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