Charlie Hebdo: la connexion Hermant-Coulibaly recèle-t-elle une partie des mystères du 7 janvier ?
Par Alexis Kropotkine,
le 14 mai 2015.
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"Au fond, les gens ne lisent pas; ou, s'ils lisent, ils ne comprennent pas; ou s'ils comprennent, ils oublient."
(Amélie Nothomb, Hygiène de l'Assassin)
Addendum 11/02/2016 (corrections) & 4/02/2017: Le Greffier Noir vous recommande de consulter l’infographie mise en ligne le 3/02/2016 complémentaire à cet article qu'il convient aujourd'hui de relire à l'aune des informations à l'époque disponibles. Nous étions alors en mai 2015. En septembre 2015, Mediapart a confirmé, en révélant le rôle de l’entreprise Seth Outdoor dans l’importation des armes, le lien que nous subodorions entre le milieu survivaliste et la connexion Hermant - Coulibaly. En avril 2016, Antoine Denevi, un cadre du mouvement nationaliste révolutionnaire Troisième Voie, a été arrêté en Espagne et mis en examen dans le même dossier. Bien que présenté par une partie de la presse au moment de son arrestation comme le "fournisseur" des armes d'Amedy Coulibaly, son rôle précis dans la filière logistique ayant abouti aux terroristes n'est pas à ce jour connu. Enfin, Bernard Cazeneuve a opposé le secret défense aux juges lillois en charge de l'instruction, après un avis négatif de la CCSDDN du 18 juin 2015.
Une barbouze n'y retrouverait plus ses petits. Après les révélations du Canard Enchaîné sur les liens unissant un proche d'Amedy Coulibaly à une sous-officier des services de renseignement du Fort de Rosny-sous-Bois, La Voix du Nord affirme dans son édition du 3 mai qu'une partie des armes trouvées en possession de l'assassin de l'épicerie casher aurait transité par les réseaux d'une figure de la droite nationale lilloise, Claude Hermant, informateur de la gendarmerie et des douanes, ancien mercenaire célèbre pour avoir confirmé l'existence dans les années 1990 d'une structure clandestine nichée au sein du DPS du Front National.
L'homme, incarcéré le 20 janvier, importait et remilitarisait depuis plusieurs années des armes des pays de l'est, qu'il écoulait ensuite dans les milieux du banditisme. Arsenal qui aurait finalement échoué entre les mains d'Amedy Coulibaly. Claude Hermant affirme qu'il agissait pour le compte de la gendarmerie dans le cadre d'une «mission d'infiltration et de renseignements» ayant reçu l'aval de l'autorité administrative.
Le grand public connaissait aussi Claude Hermant pour ses activités de survivaliste, auxquelles la chaîne W9-M6 avait consacré fin 2012 un assez long reportage. Hermant était à l'époque l'animateur d'une Base Autonome Durable, ou B.A.D., structure de type paramilitaire assez similaire aux réseaux stay-behind qui ont prospéré dans l'Europe de l'après-seconde guerre mondiale.
Au delà des liens éventuels entre Claude Hermant et l'assassin de l'épicerie casher, Greffier Noir s'est donc intéressé au concept de B.A.D. et à ses promoteurs.
Le milieu dans lequel Claude Hermant inscrivait ses activités recèle-t-il une partie du mystère des 7, 8 et 9 janvier ?
Amedy Coulibaly, deux barbouzes pour un barbu ?
Amedy Coulibaly a su demeurer sous les radars des services de renseignement entre sa sortie de prison en mars 2014 et les attentats du mois de janvier 2015. Les agents du contre-terrorisme n'étaient pourtant séparés de lui que par deux ou trois poignées de mains, parfois moins. L'Histoire est décidément souvent tragique.
Il convient de toujours se souvenir qu'Amedy Coulibaly, avant le 9 janvier 2015, n'était aux yeux de la justice, et en dépit des preuves nombreuses du contraire, qu'un simple délinquant de droit commun sur la voie du grand banditisme. A la différence de la fratrie Kouachi dont le cadet avait été condamné en 2005 au titre de l'article 421-1 pour sa participation à la filière djihadiste des Buttes-Chaumont, le casier judiciaire d'Amedy Coulibaly ne comportait aucune condamnation pour terrorisme, les juges l'ayant poursuivi et condamné en 2010 pour son implication dans la tentative d'évasion de l'artificier des attentats parisiens de 1995 Smaïn Aït Ali Belkacem, n'ayant pas retenu à son encontre la circonstance aggravante d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Bien que connu des services de renseignement pour sa proximité avec Djamel Beghal, bien que des munitions de kalachnikov aient été découvertes à son domicile et bien qu'il ait été en 2008 le coauteur d'un livre et d'un documentaire D3/Reality-Taule, derrière les barreaux, faisant une place large et ambiguë au terrorisme, Amedy Coulibaly n'était pas à proprement parler "un client des services".
Dans son environnement direct barbotaient néanmoins quelques spécimens intéressants.
Le Canard Enchaîné a ouvert le bal des révélations barbouzardes dans son édition du mercredi 4 février. (2) Selon le palmipède, un proche d'Amedy Coulibaly, Amar Ramdani, entretenait depuis plusieurs années une relation amoureuse avec une gendarme, Emmanuelle C., adjudante, formatrice au renseignement opérationnel du Fort de Rosny-sous-Bois, haut lieu du renseignement français, le site abritant notamment le service de soutien à la projection opérationnelle, le laboratoire photographique central, le service technique de la communication, le service central des réseaux et technologies avancées, le service de traitement de l’information, le service de développement et de mise en œuvre de logiciels, la section du système des opérations et du renseignement...
Amar Ramdani, fiché au grand banditisme et sous le coup d'un mandat d'arrêt international se trouvait dans le quartier de l'épicerie casher peu avant la fusillade et la prise d'otage du 9 janvier, son téléphone portable ayant par ailleurs été géolocalisé à plusieurs reprises à proximité d'Amedy Coulibaly dans les jours qui ont précédé les attaques (LCI). Il aurait surtout accompagné Coulibaly en Belgique lorsque celui-ci cherchait à troquer une voiture contre des armes.
Amar Ramdani qui, selon Le Canard Enchaîné, allait et venait dans le Fort de Rosny-sous-Bois à bord de son véhicule personnel «comme s'il était chez lui», a été interpellé et placé en détention provisoire à la mi-janvier pour infraction à la législation sur les stupéfiants et détention d'armes de guerre. Sa compagne, Emmanuelle, récemment convertie à l'islam, a quant à elle été suspendue de ses fonctions et placée sous contrôle judiciaire.
Toujours au mois de janvier, nous apprenions par la Voix du Nord (3) qu'une partie des armes retrouvées en possession d'Amedy Coulibaly aurait transité par les réseaux de Claude Hermant, ancien militaire et mercenaire, ex-barbouze du Front National désormais gérant d'une friterie et animateur d'une Base Autonome Durable (B.A.D.), par ailleurs informateur "enrôlé" de la gendarmerie.
Même si la concomitance des dates des interpellations, le contexte des trafics, les profils des acteurs tels qu'ils sont décrits dans ces articles laissent entrevoir un lien possible entre les 2 affaires, aucun élément concret n'est encore venu confirmer l'hypothèse. Nous ne pouvons que noter la présence, surprenante, d'agents des renseignements de la gendarmerie en amont et en aval de la filière des armes
Nonobstant ce point de détail, qui est Claude Hermant ?
Claude Hermant, mercenaire en Afrique, ancien du DPS, fondateur d'une Base Autonome Durable.
Claude Hermant est une figure de la droite nationale lilloise. Ancien militaire, il était dans les années 1990 membre du Département Protection et Sécurité (DPS), le service d'ordre du Front National.
En juin 2001, il a confirmé au journal Libération (4) l’existence d'un « groupe paramilitaire secret » niché au sein de la structure frontiste, groupe dont les membres, tous combattants aguerris, étaient formés aux techniques de surveillance, d'espionnage et de combat. Thierry Meyssan se rappelle pour Greffier Noir cet épisode qui a débouché sur la constitution d'une commission d'enquête parlementaire et la scission FN-MNR de 1999 (Thierry Meysssan et les cadres du réseau Voltaire ont été auditionnés par la commission le 3 mars 1999) "J’avais au sein du Réseau Voltaire plusieurs sujets d’étude à cette époque, dont d’un côté l’extrême droite et de l’autre les affaires africaines sur lesquelles je collaborais avec François-Xavier Verschave. Aucun de ces deux sujets ne m’a amené seul à comprendre. Mais comme je m’occupais des deux à la fois, je retrouvais toujours les mêmes noms. Concernant le DPS, j’avais découvert que ses principaux membres étaient à mi-temps au service d’ordre du FN et à mi-temps mercenaires en Afrique. Puis que, dans ces deux fonctions, ils étaient aux ordres de la DPSD, c’est-à-dire du service de contre-espionnage des armées." (5)
La structure était financée, d'après les confidences de Claude Hermant au journal Libération, par des opérations de mercenariat en Afrique et dans les pays de l'Est. Elle menait aussi, parallèlement à ses missions de service d'ordre pour le parti, des opérations de déstabilisation politique et sociale sur le territoire national.
Toujours selon Libération, de 1994 à 1999 les hommes sous les ordres de Bernard Courcelle (qui après la rupture de 1999 va rejoindre le MNR avec une grande partie de ses troupes) ont été enrôlés en métropole «..tantôt (...) sous le vocable d'Unité Mobile d’Intervention» (UMI), dotés d’un équipement semblable à celui des CRS » tantôt en « tenue civile plus discrète (...)pour infiltrer des associations ou mener des expéditions punitives dans des banlieues », voire approcher « des bandes de jeunes susceptibles d’accentuer le climat d’insécurité dans certains quartiers, non acquis au Front national.» (6)
Il est important de souligner que Claude Hermant n'a commis ces révélations qu'après que ses chefs aient témoigné contre lui au lendemain du fiasco d'une opération africaine dans le Congo de Denis Sassou N’Guesso, qu'ils avaient pourtant commanditée.
A la fin des années 2000, Claude Hermant, un temps disparu, réinvestit le champ politique et devient un dirigeant de la Maison Flamande (Maison du Peuple Flamand ou Vlaams Huis) de Lambersart, à proximité de la métropole lilloise. Il se rapproche davantage des mouvements nationalistes révolutionnaires, héritiers de la culture skinhead anticommuniste et néonazie des années 1980-1990. Il s'associe par exemple à la ligne de vêtements créée par Serge Ayoub (voir infra), leader du mouvement Troisième voie dissout après la mort de Clément Méric. Il fonde également La Maison de L'Artois à Auchel, disparue en 2012.
C'est au début des années 2010, parallèlement à son emploi de gérant d'un commerce alimentaire, qu'il fonde une Base Autonome Durable, un concept originellement développé par 3 auteurs issus des rangs de la droite nationaliste autonome, Serge Ayoub, Michel Drac et Marion Thibaud dans le livre G5G, guerre de 5ème génération. Nous allons y revenir.
Mais Claude Hermant ne se cantonne pas à ces activités politiques et commerciales puisqu'il verse aussi dans le trafic d'armes de guerre, et "l'investigation free-lance" pour le compte de la gendarmerie.
Un trafic d'armes de guerre qui alimentait les banlieues.
Un article de La Voix du Nord (7) nous expose dans ses grandes lignes le fonctionnement du trafic animé par Claude Hermant et incidemment, celui du réseau susceptible d'avoir alimenté les assaillants du 7-9 janvier. Selon le quotidien régional, Claude Hermant importait des armes neutralisées des pays de l'Est, les remilitarisait en toute illégalité, puis les revendait «dans les milieux délinquants».
D'après Hermant, - qui au moment de son transfert a lancé aux journalistes présents dans les couloirs du palais de justice qu'il ne serait pas « le prochain Marc Fievet » - ces ventes d'armes servaient à infiltrer le banditisme, en accord avec l'autorité administrative et la hiérarchie judiciaire. La presse régionale est d'ailleurs entrée en possession de courriels dont l'expéditeur, un gendarme, écrit à Hermant le 21 novembre 2014 « Salut Claude, nous avons vu avec notre hiérarchie… Nous sommes partants pour les deux dossiers que tu nous as présentés (armes-Charleroi)...»(8)
Une époque où précisèment Amedy Coulibaly cherchait à troquer le véhicule de sa compagne contre des armes....dans la région de Charleroi.
Les faits établis par l'instruction des attentats de Paris, notamment le voyage de Coulibaly à Charleroi, ce courriel tout comme le mode de défense du principal accusé accréditent la thèse d'un lien, au moins indirect, entre Claude Hermant et Amedy Coulibaly. Un fonctionnaire de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED), dont Hermant a été l'informateur avant de devenir le fournisseur, est par ailleurs mis en cause dans le même dossier et inculpé pour acquisition et détention illégale d'armes de guerre.
Selon les sources proches du dossier toujours citées par la Voix du Nord, ce sont une centaine d'armes qui ont ainsi été importées, remilitarisées et disséminées sur le territoire national par Claude Hermant. Mais ajoutent ces sources policières, il aurait trafiqué ces armes «pour son propre compte», sans l'aval des douanes ni de la gendarmerie. De son coté, Maxime Moulin l'avocat de Claude Hermant affirme que son «client est un combattant, il n’aurait jamais travaillé contre les intérêts de son pays».
Si l'instruction venait à confirmer la connexion Coulibaly-Hermant, si des armes du mois de janvier ont effectivement été acheminées par cette filière, alors la question de l'existence d'une structure en abyme derrière la Base Autonome Durable (B.A.D.) qu'animait ce militant de la droite nationale se poserait avec d'autant plus d'acuité qu'il existe un grand nombre de similitudes - idéologiques, techniques, politiques et pratiques - entre le concept de B.A.D. et les réseaux stay-behind qui ont prospéré après 1945 en Europe occidentale et débouché sur des actions tout aussi tragiques que les attentats de janvier.
Un rapide retour en arrière s'impose. Le lecteur gardera à l'esprit que nous ne parlons que de similitudes. Nous reviendrons rapidement à l'affaire Hermant et aux B.A.D.
Les réseaux Stay-behind, un précédent historique.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, jugeant une invasion soviétique inéluctable et redoutant le poids croissant des partis communistes d'Europe occidentale (la cinquième colonne), notamment en Italie et en France, l'OSS (ancêtre de la CIA) et le MI5 britannique décidèrent d'anticiper la constitution d'un réseau de résistance. A travers toute l'Europe, des hommes, si possible farouches anticommunistes et aguerris au combat, étaient recrutés, formés et intégrés à un réseau dormant de cellules éparses et indépendantes, prêtes à engager des opérations de renseignement ou de sabotage dès l'arrivée de l'armée rouge. Il n'est pas très difficile de deviner dans quels milieux se recrutèrent les hommes de ces structures, de la droite conservatrice à l’extrême droite la plus dure. L’organisation présente à travers toute l'Europe disposait, selon le militant d'Ordre Nouveau Vinciguerra «de son propre réseau de communication, d'armes, d'explosifs et d'hommes formés pour s'en servir...» (10), à l'insu des parlements légitimement élus et des services de renseignements compétents, à l'exception de quelques initiés.
L'organisation dormante ne sommeilla pas indéfiniment. «En l'absence d'invasion soviétique, poursuit Vinciguerra, elle reçut de l'Otan l'ordre de lutter contre un glissement à gauche du pouvoir dans le pays (l'Italie des années 1960-1980 ndlr)». Infiltration et déstabilisation des partis politiques ennemis, perturbation des processus électoraux et des mouvements sociaux, violence...et pour finir, terrorisme sous fausse bannière.
Vinciguerra que nous venons de citer a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'attentat de Peteano, longtemps attribué aux Brigades Rouges (gauche radicale). Une condamnation rendue possible grâce au travail, unique, du juge Casson qui a jeté la lumière sur ce qui est peut-être le «secret politico-militaire le mieux gardé et le plus néfaste depuis la seconde guerre mondiale.» (11)
Pour Vinciguerra «derrière les terroristes, de nombreuses personnes agissaient dans l'ombre, des gens appartenant ou collaborant à l'appareil sécuritaire (…) tous les attentats perpétrés après 1969 s’inscrivaient dans une même stratégie».
Ces propos méritent certainement d’être pris avec précaution et relativisés, mais il n'en demeure pas moins que la justice et le gouvernement italiens ont validé bon nombre des affirmations de Vincinguerra, notamment quant à l'existence et l'organisation du Gladio Italien. Des commissions d’enquête en Belgique, en Suisse et dans d'autres pays européens ont par la suite indépendamment confirmé l'existence de ces armées secrètes clandestines sous commandement américain, telles que les décrivait Vincinguerra. Ce réseau stay-behind européen a été officiellement dissout au début des années 1990. (12)
Le parti communiste et l'Union soviétique ont disparu. Mais l'eschatologie et la peur sont éternelles. Oubliez l'invasion de l'Europe occidentale par l'armée rouge. Imaginez un effondrement économique global et brutal entraînant une rupture des chaînes logistiques longues, des supermarchés déserts et vides, des pharmacies pillées, des bandes prenant possession de votre quartier et plus aucun service public, plus d'état de droit, bref...L'effondrement complet de la civilisation occidentale telle que nous la connaissons. Tel est le scénario auquel se préparent les Bases Autonomes Durables dont Claude Hermant était l'un des premiers promoteurs médiatiques.
Aux mêmes causes, mêmes conséquences, même solution.
La base Autonome Durable de Claude Hermant, de la théorie à la pratique.
Décembre 2012: la chaîne W9-M6 consacre un reportage aux croyances populaires (13).
La Base Autonome Durable de Claude Hermant, 23/11/2012
Pour documenter les nouvelles attentes apocalyptiques, les journalistes ont choisi un groupe de survivalistes, la B.A.D. de Claude Hermant. «Dans un lieu qu'il tient à garder secret», les journalistes filment un petit groupe soudé autour de son leader : réserves de nourriture ; armes de gros calibre capables de sécuriser la zone sur « 200 mètres », réserves conséquentes de munitions, entraînement au combat.
La Base Autonome Durable (B.A.D.), un concept né dans les milieux nationalistes révolutionnaires autonomes, héritiers des mouvements néofascistes et skinhead, est une déclinaison du survivalisme américain.
Selon Piero San Giorgio (voir infra), auteur du manuel survivaliste de référence en langue française (14), lorsque l'effondrement inéluctable de la civilisation occidentale surviendra, probablement à court terme, le «seul moyen de survivre [sera de] s'établir dans un endroit éloigné des zones de trouble potentiel et d’acquérir une autonomie durable aussi grande que possible pour tout ce qui concerne l'eau, la nourriture et l’énergie tout en s’intégrant dans les communautés locales ».
Toute B.A.D. est constituée de 7 points fondamentaux qui sont dans leur ordre décroissant d'importance : l'eau, la nourriture, l'hygiène et la santé, l’énergie, la connaissance, la défense et enfin le lien social.
De ces 7 points, nous ne nous intéresserons qu'aux aspects défensifs et sociaux, tels qu'ils sont développés dans l'ouvrage de Piero San Giorgio. Les problèmes d'eau, de nourriture, d’énergie ne concernent pas notre propos mais à titre indicatif voici le volume, en nombre de pages, réservé à chacun de ces 7 points, sachant que « le lien social » traite pour une grande part du problème du renseignement, dans l'acception barbouzarde du terme. Ainsi 7 pages sont consacrées à l'eau ; 18 pages à la nourriture, 34 pages à l'hygiène et la santé; 20 pages à l’énergie ; 6 pages à la connaissance, 35 pages à la défense et enfin 19 pages au lien social.
Cette inversion des hiérarchies, le basculement des problèmes d'eau et de nourriture à celui des armes et du renseignement sont naturels.
L’effondrement s'annonçant économique, global, brutal, source de troubles et de violences, la B.A.D. ne peut se cantonner à assurer la sûreté alimentaire et énergétique de ses membres. Elle est aussi et surtout destinée à assurer leur sécurité physique et à ce titre, les armes, le renseignement et la possession d'un réseau de communication autonome, en sont des éléments fondamentaux.
Mais quels types de renseignements une B.A.D. est-elle donc susceptible de recueillir en prévision de l'insécurité structurelle si redoutée ? Le manuel Survivre à l'effondrement économique prescrit, après le recensement des compétences et l’identification des leaders des communautés environnantes : «Travaillez avec les autorités locales pour comprendre leur plan en cas de catastrophe naturelle et identifiez les personnes responsables de la sécurité (police, gendarmerie, pompier etc.)... Proposez-vous de les aider...» ; «évaluez la population des communautés alentours» en cherchant à savoir «combien de gens sont atteints de maladies chroniques ? Quelles sont ces maladies ? Lesquelles sont potentiellement contagieuses ?( ...) Évaluez la nutrition locale», identifiez « les grands propriétaire terriens » mais aussi «Qui fume ? Qui boit ? Qui se drogue ?» «Faites l'inventaire des compétences de votre région : quel paysan cultive quoi ? (...) Quel est le métier de chacune des personnes de votre communauté ?...», etc. (15)
Un grand nombre de ces exemples, tirés de Survivre à l'effondrement économique, illustre la double détente du discours survivaliste. Des conseils de bon sens mêlés à d'autres, parfois incohérents et pour certains inquiétants par leurs sous-entendus puisque dans le monde effondré qu'anticipent les badistes, non seulement l’État de Droit aura disparu, rendant obsolètes beaucoup des catégories juridiques artificielles utilisées par l'auteur; mais surtout inutiles puisque par ailleurs une grande partie des populations désignées à l'espionnage des B.A.D. sera selon le manuel «rapidement éliminée», l'auteur ajoutant toutefois «tachez d'éviter que ce soit à vous que cette tache incombe.» (16)
A coté du renseignement humain, Piero San Giorgio estime qu'une B.A.D. doit disposer de systèmes de communication interne et externe, autonomes et discrets, ne serait-ce que pour maintenir un lien avec le monde extérieur et son propre réseau, sans dépendre des infrastructures existantes appelées à disparaître.
La B.A.D. témoin de Claude Hermant et ses théoriciens
La B.A.D. de Claude Hermant, telle qu'elle fut présentée dans le documentaire de M6, est un modèle de mise en pratique de l'idée théorique. Presque un prototype-témoin. Mais il est vrai que le concept fut originellement développé par trois auteurs proches de Claude Hermant avant d’être repris et approfondi par Piero San Giorgio.
Commençons par l'auteur le plus connu. Piero San Giorgio, de son vrai nom Piero Falotti est un personnage intéressant. Né à Milan en Italie, il s'est établi en Suisse. Comme Claude Hermant, il connaît bien l'Afrique puisqu'il est, depuis plus de vingt ans, responsable pour diverses sociétés (successivement Solix, Succesfactor, Saleforces, Oracle) «des marchés émergents d'Europe de l'Est, du Moyen Orient et d'Afrique dans l'industrie high-tech.» (17)
L'homme connaît également très bien les marchés d’Europe de l'ouest puisqu'en 2001, il était présenté par le journal Les échos comme «fondateur et PDG d'Andiamo, une société née (…) avec un capital de 1 million de dollars» et dont l'activité consistait à fournir «une force de vente aux sociétés américaines qui désirent s'attaquer au marché européen mais répugnent à investir les ressources nécessaires...» En contrepartie de son activité, outre un abonnement mensuel de 10 000 à 15 000 dollars, Andiamo demandait «de 30 % à 40 % des ventes réalisées». «Nous sommes le commando de mercenaires, déclarait le président d'Andiamo, qui débarque sur la plage avant l'arrivée des troupes.» (18)
C'est à partir de 2005, à l'époque où il travaillait chez Salesforce (19), que Piero San Giorgio s'est sérieusement intéressé au survivalisme.
«Je suis tombé, écrit-il, sur le livre G5G de Michel Drac, Serge Ayoub et Marion Thibaud» (20), trois auteurs de la mouvance nationaliste-révolutionnaire.
Sur le site du Retour Aux Sources dont il est le fondateur, maison éditrice des œuvres de Piero San Giorgio et Serge Ayoub, Michel Drac, contrôleur de gestion dans une grande administration, déclare soutenir les « nationalistes autonomes » et prône la création de «Bases autonomes durables, à l'intérieur desquelles nous pourrions vivre décemment, pour secréter progressivement une contre-société, une société distincte de celle pilotée par les classes dirigeantes. Il y a deux façons de résister : en prenant d'assaut la Bastille, ou en constituant des maquis. A ce stade, va pour le maquis. C'est dans nos moyens. Le but est de ne plus dépendre du système, pour pouvoir continuer à lutter contre lui.» (21)
On ne présente plus le second auteur de G5G, Serge Ayoub, personnage légendaire dans les milieux skinhead et hooligans dont il était le principal dirigeant au cours des années 1980-1990. Il s'appelait alors Batskin. Serge Ayoub et Michel Drac ont été les associés d'affaires de Claude Hermant dans les années 2010, entre autre dans le cadre d'une ligne de vêtements identitaire et de la Maison du peuple Flamand. (22)
Marion Thibaud, le dernier des 3 auteurs, est l'un des pseudonymes de Lucas Degryse, également connu sous le nom de Lucien Cerise. Il est l'auteur d'Oliganarchy aux éditions du Retour aux Sources, et de Gouverner par le chaos chez Max Milo. Il publie régulièrement sur Égalité et Réconciliation. (23)
Les auteurs de G5G, guerre de cinquième génération ont la certitude que « le système économique entraînera dans sa chute la civilisation occidentale telle que nous la connaissons depuis 150 ans. La disparition des chaînes logistiques longues, la disparition de tous les services publics essentiels...».
Pour Michel Drac la dissidence française doit « s’organiser en «contre-société fractionnaire », pour prospérer « à l’intérieur de la société ordinaire comme un cancer », avant d'en prendre le contrôle par une stratégie méthodique d’infiltration. (24)
Voilà pour le contexte idéologique des Bases Autonomes Durables mais c'est avec Survivre à l'effondrement économique de Piero San Giorgio, écoulé à plus de 30 000 exemplaires, et à la correction duquel a d'ailleurs participé Michel Drac, que la Base Autonome Durable a atteint sa pleine maturité conceptuelle et commerciale.
A chacun d’imaginer, selon sa sensibilité, ce qu'un tel concept mis entre de mauvaises mains, est susceptible d'engendrer. L'implication de Claude Hermant dans un trafic d'armes sous le contrôle allégué de la gendarmerie devrait au minimum alerter les badistes sur les risques de retournement de ces structures. Même fondées avec les meilleures intentions, même, et peut-être surtout, forgées dans le roc du secret, elles demeurent à la merci de toutes les manipulations, de tous les dérapages. Alamut, toujours, finit par s'effondrer.
Alexis Kropotkine le 14 mai 2015 pour Greffier Noir
Si vous souhaitez reprendre cet article merci de lire nos conditions d’utilisation.
Notes:
Je remercie Thierry Meyssan, J. de M. et Thibault
1: Voir notre article Attentats contre Charlie Hebdo et 11 septembre 2001: Les lois Sécurité et Renseignement à l’épreuve des faits.
2: Le Canard Enchaîné, Une gendarmette et un complice de Coulibaly s'aimaient d'amour tendre, Didier Hassoux, 4 février 2015.
3: La voix du Nord, Trafic d’armes : la police judiciaire va-t-elle remonter de l’ultra-droite jusqu’à Coulibaly ? , 21 janvier 2015.
4: Libération, Confessions d'un Fantôme, 6 juin 2001, Renaud Dely et Karl Laske.
5: Entretien avec l'auteur, 14 mai 2015.
6: Voir note 4.
7: La Voix du Nord, Trafic d’armes présumé de Claude Hermant: la piste Coulibaly se confirme, , 3 mai 2015
8: Voir note 7.
9: Marc Fievet est un agent infiltré des douanes, emprisonné durant une dizaine d'années après avoir été lâché par sa hiérarchie.
10: Cité par Daniele Ganser dans Les Armées secrètes de l’OTAN, éditions Demi Lune.
11: Hugh O' Shaughnessy, Gladio : Europe best kept secret, The Observer 7 juin 1992, cité par Daniele Ganser dans Les armées secrètes de l'OTAN, voir note 12.
12: Le lecteur intéressé peut se reporter au livre de Daniele Ganser, Les armées secrètes de l'OTAN (éditions Demi Lune) et à ce documentaire historique de la BBC dans lequel témoignent des acteurs de 1er plan des réseaux Gladio italien, notamment Vinciguerra. Pour les pays francophones, il faut absolument visionner ce débat de la RTBF sur l'équivalent belge du Gladio italien.
13: W9-M6, Reportage sur la Base Autonome Durable de Claude Hermant, 2012.
14: Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique, éditions du Retour aux Sources, 2011.
15: Voir note 14, page 332 à 335.
16: Voir note 14, page 294.
17: Wikipédia et 4ème de couverture de Survivre à l’effondrement économique.
18: Les Échos, Andiamo ou comment attirer les Américains en Europe, 30 avril 2001, Laetitia Mailhes.
A découvrir aussi
- Charlie Hebdo: le reportage sur la Base Autonome Durable de Claude Hermant (23 novembre 2012 - W9-M6)
- Charlie Hebdo: la trace électronique d'un complice d'Amedy Coulibaly probablement sur Viméo.
- 30/04/2016 - Attentats contre Charlie Hebdo, Connexion Hermant - Coulibaly : Antoine Denevi remis à la France et incarcéré. (En bref)