Retour sur l'affaire du Coral
Par Virginie IKKY
Le 27 juin 2012
Le 19 février 1997, Jean-Marie CHARPIER, juge d'instruction à Versailles, et deux fonctionnaires de la DST, procèdent à l'ouverture d'un box situé sur la commune de Plaisir dans les Yvelines, appartenant à Christian PROUTEAU. Un informateur a alerté la DST du fait que le commandant PROUTEAU, ancien créateur de l'unité du GIGN et du GSPR, s'était constitué son stock personnel d'archives. Tous les dossiers sulfureux de la "mitterrandie", écoutes téléphoniques de l'élysée, rainbow warrior, irlandais de vincennes, grotte d'Ouvéa, sont rangés dans des cantines en métal et les dossiers sont distribués entre plusieurs juges d'instruction et la DST.
Une pochette bleue portant la mention « coral ballets bleus » figure au butin. Cette simple affaire de mœurs n'a a priori rien de commun avec les grands scandales d'état précités. Rien si ce n'est l'intervention de la cellule anti-terroriste de l'Elysée pour étouffer l'affaire et épargner de grands intellectuels et politiques de gauche mis en cause, un an seulement après l'arrivée au pouvoir de François MITTERRAND.
Le Coral était un lieu de vie communautaire en autogestion comportant une dizaine de membres chargés de l'accueil de jeunes en difficultés, souffrant notamment de maladies psychiatriques ou d'autisme. Une petite structure à taille humaine accueillant quelques mineurs et dirigée par un éducateur spécialisé, Claude SIGALA, et son épouse. Le Coral appartenait au réseau Collectif Réseau Alternatif, ou CRA, une mouvance anti-psychiatrique dont le but était d'offrir une alternative aux asiles.
En octobre 1982, des enfants du Coral se rendent chez une voisine et parlent de pratiques inappropriées. S'en suivront une plainte déposée par des parents et l'ouverture d'une information judiciaire confiée au Juge Salzmann, débouchant sur l'inculpation des adultes encadrant : Claude SIGALA, le médecin psychiatre du Coral, Alain CHIAPELLO et un éducateur, Jean-Noël BARDY. L'affaire aurait pu rester une tragique mais banale affaire de pédophilie s'il n'y avait eu de nombreuses autres mises en cause dans le milieu politique et intellectuel de la gauche libertaire, un milieu à l'avant garde de l'abaissement de la majorité sexuelle voir de la légalisation des relations pédophiles.
Il semble de nos jours parfaitement incongru ne serait-ce que de poser la question de la dépénalisation de la pédophilie. Dans les années 70 en revanche, cette question fit l'objet d'un véritable militantisme, avec un relai médiatique d'envergure, les quotidiens LIBERATION et LE MONDE. Il faut également replacer ce débat dans le contexte de l'époque, où l'âge de la majorité sexuelle en France n'a quasiment jamais été aussi élevé. En 1832, pour la première loi instaurant une majorité sexuelle, le seuil fut en effet fixé à 11 ans, puis à 13 ans à partir de 1863. Le régime de VICHY introduit en 1942 une distinction entre les relations hétérosexuelles et homosexuelles en fixant le seuil de majorité sexuelle à 21 ans pour les relations homosexuelles. L'ordonnance sur les mineurs de 1945 fixe enfin à 15 ans le seuil de majorité sexuelle pour les relations hétérosexuelles. En 1974, la majorité sexuelle pour les relations homosexuelles passe à 18 ans, une limite encore trop haute pour certains intellectuels. André GIDE a pu en son temps assumer ses relations avec de jeunes adolescents du même sexe et l'après 68 est une période idéale pour demander le retour à cette permissivité.
Le débat autour de l'abaissement de la majorité sexuelle, voire de sa suppression pure et simple, va donc s'inscrire dans une demande générale de reconnaissance des sexualités alternatives, dont les relations sexuelles entre adultes et mineurs. Le leitmotiv "jouir sans entrave" est transposé sur l'enfant, que l'on ne saurait priver de sa sexualité au nom d'une morale puritaine. L'enfant serait ainsi tout à fait apte à donner son consentement à des relations sexuelles avec un adulte, tandis qu'il serait injuste de taxer ce dernier de pervers. Parmi les faits d'arme des journaux, une pétition contre l'incarcération abusives de 3 adultes auxquels on reproche des attentats à la pudeur sur mineur et des tribunes ouvertes à des intellectuels ouvertement pédophiles comme Gabriel MATZNEFF, auteur de l'ouvrage Les Moins de 16 ans, et le philosophe René SHERER auteur d'Émile perverti, apologie là encore des relations sexuelles entre adultes et mineurs.
Ce milieu se sert les coudes lorsque l'un d'eux est rattrapé par la justice, comme en 1979, lorsque Jacques DUGUE est arrêté pour agressions sexuelles et accusé de faire partie d'un réseau pédophile. Désireux de prendre le contre-pied des journaux droitiers comme MINUTE ou FRANCE SOIR, LIBERATION publie une tribune de DUGUE depuis sa prison dans laquelle il assume pleinement sa perversité, fait l'éloge des rapports incestueux et de la « sodomisation », en n'oubliant pas de préciser que l'enfant y prend du plaisir. Jacques DUGUE est aujourd'hui retourné en prison puisqu'il a été condamné en 2002 à 30 ans de réclusion criminelle par une Cour d'Assises, une peine exceptionnellement grave dans une affaire de mœurs pour cet ancien militant communiste que beaucoup considèrent comme le plus grand pourvoyeur de photos pédopornographiques en France. En 1982, les inévitables René SHERER et Gabriel MATZNEFF témoignaient en sa faveur à son procès. Ils vont eux aussi devoir se défendre dans l'affaire du CORAL.
René SHERER est inculpé pour incitation de mineurs à la débauche, et Gabriel MATZNEFF est lui aussi mis en cause. Les deux crient à la manipulation et Gabriel MATZNEFF dénonce être dans le collimateur de la justice depuis qu'il a témoigné au procès de Jacques DUGUE. L'ombre du réseau pédophile au service des puissants est relayé principalement par Jean-Claude KRIEF, ancien éducateur au CORAL, et son frère Michel. Après avoir été arrêté pour escroquerie en 1982, Jean-Claude KRIEF affirme avoir des révélations à faire sur le Coral. Il prétend que le centre serait un lieu de rencontre pour des personnalités politiques ou intellectuelles, au coeur d'un trafic de photos, et raconte sa mise en relation avec la petite communauté. Alors qu'il vivait dans un kibboutz en Israël, Jean-Claude KRIEF serait entré en contact avec Willy MARCEAU, un poète de 21 ans fréquentant le Coral, après avoir lu sa prose. Willy MARCEAU publiait notamment dans la revue Backside, dont l'éditeur échouera en prison. Il appartenait également au CRIES, le Centre de recherche et d'information sur l'enfance et la sexualité, basé en Belgique, dont l'activisme consistait essentiellement à publier la revue pédophile ESPOIR. Le centre est dissous en 1987 après la découverte de photos et cassettes d'abus d'enfant, dont certaines avaient pour décor les locaux de l'employeur d'un des membres du réseau, l'antenne UNICEF de Belgique.
Au retour en France de Jean-Claude KRIEF, Willy MARCEAU serait venu chez lui, puis serait revenu le voir avec un certain Gérard DURAND pour lui demander de faire développer des photos pédo-pornographiques. Jean-Claude KRIEF disposait en effet de son propre laboratoire de développement de photos. Découvrant les photos du Coral, et ayant été lui-même abusé durant son enfance, Jean-Claude KRIEF aurait alors cherché à s'inviter dans le lieu de vie. En décembre 1981, après avoir contacté Claude SIGALA, par le biais de la revue POSSIBLE, KRIEF entre au Coral pour y passer un stage d'éducateur. C'est là qu'il se rend compte que l'ensemble de l'équipe éducative est ouvertement pédophile sans qu'il n'y ait le moindre tabou chez eux.
Et de fait, durant l'enquête, des photos sont saisies dans les locaux de la revue POSSIBLE, dirigée par un ami de Claude SIGALA. L'éducateur Jean-Noël BARDY reconnaît ses méthodes un peu particulières puisqu'il a eu une « relation amoureuse » avec un pensionnaire du Coral, et des « activités sexuelles », précisant que « cette liberté sexuelle faisait partie d’une thérapeutique nouvelle ». L'enquête démontre également qu'un jeune stagiaire arrêté en 1977 pour le viol et le meurtre d'un pensionnaire du Coral, Jean-Pierre LANNEZ, a pu revenir y séjourner deux ans plus tard. De quoi normalement attester des propos de Jean-Claude KRIEF. Mais lui et son frère vont rapidement être mis hors d'état de nuire. Chacun sait qu'on ne s'attaque pas impunément aux puissants...
Le ministre de la culture Jack LANG figure en effet parmi les mis en cause, tout comme le neveu du Président, Frédéric MITTERRAND. François MITTERRAND fait intervenir sa garde rapprochée comme le racontera en 1997 le capitaine Paul BARRIL, collègue du Commandant PROUTEAU : « Je me rappelle qu’on nous avait alerté pour stopper l’enquête sur le réseau pédophile « Coral » à cause des personnalités mises en cause. ». Une note retrouvée dans le dossier du Christian PROUTEAU atteste bien du suivi de Maître VERGES, avocat de Jean-Claude KRIEF :
« Septembre 1982. Conformément à vos instructions, j’ai fait effectuer les recherches destinées à vérifier les informations qui vous avaient été données sur l’avocat. Les marchés traités le sont effectivement par ce monsieur, et, comme vous le supposiez, le règlement doit se faire incessamment. Je précise effectivement : nous restons en contact sur cette affaire et, si elle doit se dérouler comme prévu, il y a de fortes chances pour que nous puissions aboutir. Sauf instructions nouvelles de votre part, nous poursuivons donc cette affaire jusqu’au bout. Le chef d’escadron Prouteau. »
Jean-Claude KRIEF est accusé d'avoir falsifié un procès-verbal et incarcéré dans la même prison que Claude SIGALA. C'est de là-bas qu'il rétracte une partie de ses accusations en expliquant avoir agit par jalousie amoureuse. Son frère Michel KRIEF est arrêté pour tentative de chantage à l'égard du ministre Jack LANG. Lui ne se rate pas puisqu'il est retrouvé mort à son domicile, suicidé. Seule l'équipe éducative du Coral restera mise en cause et toutes les autres personnalités seront innocentées par la justice.
Au terme des deux procès devant le Tribunal Correctionnel et la Cour d'appel, en 1987, Claude SIGALA est condamné à trois ans de prison dont un avec sursis pour attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de moins de 15 ans. Son épouse et le médecin psychiatre Alain CHIAPELLO sont relaxés et trois autres éducateurs du Coral sont condamnés à trois ans dont un avec sursis. Un dernier animateur est condamné à dix-huit mois de prison ferme. Interrogé par le monde libertaire sur sa condamnation, Claude SIGALA reprend son système de défense et ne fait finalement pas mystère de ses « méthodes éducatives » :
« Pour moi, c’était clair qu’il fallait différencier deux choses : ce qui était de la pédophilie et des pédophiles de ce qui était des lieux de vie et de leurs pratiques. Cela a été refusé par le Parquet. Si cela avait été accepté, il est évident qu’ils n’auraient pas pu nous condamner. Cet amalgame a permis de nous enfermer dans une histoire de type « perversion sexuelle » pour éliminer le côté expérimental, innovateur, de nos tentatives. Effectivement, si nous sommes catalogués « pédophiles », il devient inadmissible de nous laisser accueillir des enfants en difficulté. Et, pour l’opinion publique, ça a été le procès de la pédophilie.(,,,,) Là aussi, il y aurait beaucoup de choses à dire ; dans la pédophilie, tout n’est pas à mettre dans de sombres histoires perverses, il faudrait y réfléchir et faire un débat de fond. »
En 1995, Claude SIGALA aura les honneurs du festival de Cannes en sortant son film sur l'affaire du Coral dont le titre « visiblement ,je vous aime », reprend le titre de l'un de ses livres sorti en 1979. En plus de signer le scénario, Claude SIGALA y joue son propre rôle dans un plaidoyer pour les lieux de vie alternatifs reprenant la trame de l'affaire du Coral. Le volet judiciaire y est bien évidemment présenté sous la forme d'une dénonciation malveillante qui n'a pour d'autre effet que de mettre à mal la guérison des malades. Une bien jolie conclusion artistique pour cette affaire et un film salué comme un grand moment d'émotion par la critique. Mais le Coral n'en a pas tout à fait fini avec la justice et l'affaire ressort lors de la découverte du réseau Zandvoort.
Le réseau Zandvoort avait à sa tête Gerrit ULRICH, un allemand qui avait constitué un gigantesque fichier de photos pédopornographiques dans la ville de Zandvoort au PAYS-BAS, terre d'accueil bienveillante des pédophiles. Les photos circulaient au travers de plus petits réseaux disséminés en Europe, aux États-Unis et en Russie. C'est une association belge, Morkhoven, qui va découvrir l'existence de ce réseau et envoyer aux autorités de plusieurs pays d'europe des copies des CD-ROM pour retrouver les responsables locaux et identifier les victimes.
En France, l'enquête démarre en 2000. 81 enfants sont reconnus et Morkhoven affirme à la justice française que la photo n° 9 du fichier Zandvoort est identique à une photo issue du dossier CORAL que Jean-Claude KRIEF avait fournie, montrant deux adultes s'en prenant à des enfants. Jean-Claude KRIEF affirmait reconnaître sur la photo un magistrat français. Cette photo se trouvait alors aux mains de la police belge qui mettra deux ans à la transmettre aux autorités françaises. En vain, puisque l'inspecteur Georges Zicot de la police belge affirmera péremptoirement que la personne sur la photo est un maquereau de Charleroi. Ce même inspecteur est célèbre pour avoir été mis en cause dans l'affaire de Marc DUTROUX et est largement soupçonné d'avoir protégé le criminel...
On retrouve également dans l'affaire Zandvoort Bernard ALAPETITE, qui fut mis en cause dans l'affaire du Coral à une époque où il était un éditeur spécialisé dans les revues pédopornographiques comme Backside ou beach boys. En 2000, ALAPETITE purge une peine pour diffusion de matériel pédopornographiques et affirmera reconnaître des clichés sur le CD-ROM. Jacques DUGUE est lui aussi en 2000 rattrapé une énième fois par la justice pour des abus sur mineurs et affirmera reconnaître 5 de ses victimes dans le fichier. La justice ordonne cependant un non lieu en 2003, anéantissant du même coup toutes les identifications et les dernières résurgences du Coral. Restent des photos de victimes, qui identifiées, pourraient porter plainte et éventuellement relancer l'affaire.
edit janvier 2021 : Gabriel MATZNEFF fait l'objet d'une enième enquête pénale suite à la parution du livre "le consentement" de Vanessa SPRINGORA. Au regard de son âge et des appuis qu'il conserve, quoi qu'il puisse prétendre, il ne faut pas se faire d'illusion sur un procès.
Virginie IKKY pour Greffier Noir.
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