Procès des attentats du 7-9 janvier 2015 : Claude Hermant, Ali Riza Polat et la connexion libanaise. (11 septembre 2020)
par Alexis Kropotkine,
le 11 septembre 2020, corrigé le 15/09.
"Lorsque les démons seront sur le point de triompher, ils se montreront. Ils seront visibles (...) Et parce qu'ils seront visibles, à l'instant de leur triomphe, cet instant marquera aussi leur chute. Alors ceux qui marchent au service de l’Éternel sauront qui doit être détruit. Alors, il sera possible de faire une guerre véritablement sainte"
Vendetta, Jeff Carnac, 2012.
Le procès des attentats du 7-9 janvier s'est ouvert mercredi 2 septembre devant la Cour d'Assises Spéciale de Paris. Connexion libanaise, usurpation d'identité, cheminement des armes, services de renseignements faillibles, « justice à géométrie variable »: il n'aura guère fallu attendre longtemps pour que l'affaire Claude Hermant disjointe du dossier parisien ne s' invite par une singulière mise en abyme dans les débats.
Condamné en appel à 8 années d'emprisonnement pour l’importation de près de 500 armes de guerre, dont celles retrouvées en possession d'Amedy Coulibaly, Claude Hermant a échappé aux foudres infamantes de l'antiterrorisme, de façon assez incompréhensible au regard des charges retenues contre plusieurs des logisticiens de troisième ordre renvoyés aux assises. A ce titre, le cas de Christophe Raumel est emblématique, le jeune homme étant poursuivi pour la fourniture de moyens sans intention terroriste, l'intention constituant pourtant le principal critère des infractions rassemblées sous les articles 421-1 et suivant du Code Pénal.
Certes, à la différence des accusés du 7-9 janvier 2015, Claude Hermant n'était pas un vulgaire criminel de droit commun. Au moment de son arrestation il cumulait les fonctions d'honorable correspondant de la Police Judiciaire, du SDIG (ex RG), du Centre de Coopération Policière et Douanière (CCPD) de Tournai et depuis mars 2013 d'informateur régulier, dûment enregistré et rémunéré des services de renseignements de la Gendarmerie. Jusqu'en 2012, avant de basculer auprès de cette dernière administration, Claude Hermant était aviseur des douanes. Autant de statuts qui ont notoirement compliqué les investigations sur la barbouze et dont le détail aurait notablement alourdi le dossier du 7-9 janvier, couramment qualifié de "tentaculaire".
Ce traitement différencié du cas Hermant ne pouvait manquer d’être exploité par la défense des accusés. Et le premier coup de semonce est venu d'Ali Riza Polat, poursuivi pour complicité de crime terroriste en raison de son rôle présumé dans l'acquisition des véhicules et des armes utilisés par Amedy Coulibaly et les frères Kouachi.
Dès l'ouverture du procès, son avocate, Maître Isabelle Coutant-Peyre s’engouffrant dans la brèche d'une «justice à géométrie variable» a demandé « un supplément d'information sur les fournisseurs d'armes, qui sont connus et ne sont pas dans ce procès», ajoutant qu'il était incompréhensible que l'on poursuive [son] client et pas ces personnes» .
Une requête soutenue par certaines parties civiles mais jugée inadmissible, voire «odieuse» par d'autres, notamment la dizaine de victimes de l'Hyper Casher représentées par Maître Klugman selon qui «demander un supplément d’information maintenant est indécent. C’est le droit de la défense, mais c’est justement un pur moyen de défense, sans justification. (...) Que l'on ne vienne pas nous servir, avant même que nous ayons abordé les faits, où sont les responsabilités et où elles ne sont pas»
Un échange laissant augurer que derrière l'affrontement juridique bouillonnent des haines idéologiques recuites qui seront probablement difficilement inhibées ces prochaines semaines, tant les avocats en présence appartiennent à des mondes opposés. Maître Isabelle Coutant-Peyre (que le site Conspiracy Watch n'hésite pas à qualifier de « figure de proue de la mouvance conspirationniste francophone») est en effet une authentique spécialiste de la défense des activistes politiques radicaux – elle est l'avocate d' Ilitch Ramirez Sanchez alias Carlos qu'elle a par ailleurs épousé religieusement en 2001 - mais aussi une militante des marges qui déclarait à France Inter, peu avant l'ouverture du procès «Avec Jacques Vergès, on avait créé l’Association internationale des défenseurs des prisonniers politiques, on faisait des réunions avec des gens de la Faction armée rouge, c’était poilant.».
Des engagements à l'exact opposé de P. Klugman, ancien président de l'UEJF, adjoint à la mairie de Paris sous Anne Hidalgo et vice président de SOS Racisme qui a notamment représenté les intérêts en France de la famille de l'ancien otage du Hamas G.Shalit ou ceux des parties civiles du procès Merah.
Sans surprise, la Cour a débouté Maitre Coutant-Peyre de ses demandes in limine litis concernant l'organisation matérielle du procès (lieu, ordre des débats privilégiant les parties civiles, port du masque) mais a néanmoins réservé sa réponse quant au supplément d'information, et sursis à statuer.
Le lendemain, la vice-procureur Julie Holveck revenait sur le sujet et annonçait qu'Ali Riza Polat avait durant l'été fait des révélations devant être versées aux débats durant les audiences.
«Je tenais à dire, a déclaré Ali Riza Polat en guise de conclusion de son interrogatoire de personnalité par la Cour, que je suis innocent des faits qu'on me reproche (...) Je suis là à cause de certaines personnes, des balances mythomanes. Ils balancent parce qu'ils voient que je ne parle pas, mais ils mentent. C'est des mythomanes...», ajoutant à destination de personnes présentes dans la salle «Je vais tout éclaircir (...) Ouais, ça va être réglé, quand on va être dans le fond [du dossier]. Attendez, patientez...»
Le dossier Claude Hermant et la connexion libanaise.
La vie, les amours mais surtout le comportement d'Ali Riza Polat au lendemain de l'assaut contre l'Hyper Casher croisent le dossier Hermant sur quelques points fondamentaux dont ne savons pas, en l'état, s'ils relèvent de la simple coïncidence ou d'un système organisé. Si nous n'avons personnellement aucune information privilégiée sur les récents développements du dossier Charlie Hebdo nous connaissons en revanche parfaitement l'affaire lilloise. Nous avons notamment assisté, aux cotés d'une vingtaine d'observateurs privilégiés à l'audition à huis clos des officiers traitants de Claude Hermant lors du procès de 1ere instance qui s'est tenu devant la JIRS de Lille en septembre 2017.
La justice antiterroriste reproche au franco-turc d'une trentaine d'années -né ans une famille kurde alevi mais converti à l'islam - un rôle prépondérant dans la logistique du 7-9 janvier. Cet ami proche d'Amedy Coulibaly, qu'il fréquentait depuis 2007, est un délinquant endurci, plusieurs fois poursuivi et condamné dans des affaires de recel et de stupéfiants, notamment la possession de 4kg d’héroïne en 2012. Toutefois ne vous-y trompez pas, Ali Riza Polat n'est pas fait de l'étoffe lugubre des petite frappes de cité assignés à résidence: avant son incarcération en 2012, il était fiancé à une libanaise, voyageait beaucoup pour le business, envisageait de «faire sa vie entre le Liban et le brésil.»
Libéré en 2014, il retourne dans le giron de ses anciennes fréquentations, parmi lesquelles Amedy Coulibaly ; se rend avec ce dernier dans le nord de la France et en Belgique, où il participe à la revente de la Mini-Cooper d'Hayat Boumedienne à un garagiste véreux , Metin K. Le lendemain des crimes antisémites de son ami, il retourne en Belgique s'expliquer avec l'acheteur du véhicule. Puis s'envole vers le Liban d'où il tente sans succès de passer en Syrie. Un itinéraire pour le moins baroque à une époque où le chemin du djihad syrien passe par la Turquie et Gaziantep...
Pourquoi cet itinéraire curieux et cette tentative improbable de pénétrer en territoire syrien alors qu'Ali Riza Polat possède la double nationalité franco-turque ? Une question restée sans réponse.
Quoiqu'il en soit, Ali Riza Polat qui s'ébattait donc à international, le royaume des douanes, s'envole pour Hong Kong après son refoulement à la frontière syrienne.
Et ici un certain nombre de recoupements fascinants s'imposent à quiconque est un tant soit peu familier du dossier Hermant, dont le réacteur nucléaire passe précisément par les douanes, le Liban, la Belgique.... En effet, à chaque stade du dossier lillois émergent des réseaux libanais, cloisonnés, dont le point commun est de toucher au trafic d'armes, de voitures, de stupéfiants et de contre-façons.... sous la surveillance intéressée des services de renseignements et notamment des douanes. Des recoupements qu'il convient néanmoins d'aborder en gardant à l'esprit que la communauté libanaise expatriée en France compte près de 200 000 individus... un chiffre considérable qui faute d'éléments probants interdit toute conclusion définitive.
Rappel synthétique des faits notables du dossier Hermant
En substance , l’enquête parisienne ouverte le 7 janvier 2015 sous la responsabilité de la SDAT a établi que 6 armes à feu découvertes en possession d'Amedy Coulibaly avaient été importées en France dans le courant de l'année 2014 par deux cadres de la droite radicale lilloise, Claude Hermant et sa compagne Aurore Joly.
De son côté, l'instruction lilloise sur le couple, confiée à la Police Nationale près d'un an avant les attentats de janvier 2015 suite à la découverte en décembre 2013 de l'ADN de Claude Hermant sur la pièce interne d'un pistolet mitrailleur saisi dans un affaire de stupéfiants (entre les mains d'un certain Abdelkader G. ) a démontré que le couple Hermant-Joly avait importé 146 armes de guerre entre le 7 juillet 2014 et le 21 décembre 2014 pour la somme de 54.699 € ; le parquet évoquant à l'audience le chiffre probable de 400 à 500 armes entre 2013 et 2015 « ce qui ferait de cette filière, l'un des plus gros trafics mis à jour ces dernières décennies en France ». Un business aux conséquences funestes et immédiates dont les archives de la presse gardent la mémoire. Trois mois avant le Grand-œuvre d'Amedy Coulibaly, plusieurs médias s'inquiétaient ainsi de l'inhabituelle recrudescence des « règlements de compte par armes à feu » à Lille, où l'on a compté jusqu'à 4 fusillades en 15 jours en octobre 2014, inspirant à l'époque ce commentaire rétrospectivement sordide de l'adjoint à la sécurité de la mairie de Lille, Franck Hanoh : « Les trafics ont évolué. (…) il ne faut pas seulement des renforts, il faut des modes d’investigation nouveaux. Avec nos partenaires, il faut discuter des moyens que l’État peut mettre pour assurer la sécurité des habitants. »
Pour sa défense, Claude Hermant affirme que les importations litigieuses participaient d'une mission d'infiltration pour le compte de la gendarmerie, commandes et livraisons étant rigoureusement supervisées par ses officiers traitants Laurent B. et Joël A.
Sommé de s'expliquer sur le cheminement des armes, il va mettre en cause 4 individus. Tout d'abord Samir Ladjali, un homme dans le viseur des services de renseignement de la gendarmerie et qui fut longtemps présenté comme le chaînon manquant entre Claude Hermant et Amedy Coulibaly avant d’être évacué du dossier parisien au profit d'un autre nordiste aujourd'hui renvoyé aux assises, Mohammed Amine Fares. Ensuite Antoine Denevi un militant de la droite nationaliste révolutionnaire (ex Troisième voie) que Claude Hermant avait embauché quelques mois comme homme-à-tout-faire de la friterie qu'il gérait rue de Solferino (Société Jarnac) à Lille; un quadragénaire au profil flou, Christophe Dubroeucq, également passé par le restaurant du couple et enfin un douanier, officier de police judiciaire en poste à la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) de Lille, Sébastien L., qui partageait avec Claude Hermant une passion pour le survivalisme.
Claude Hermant a lui-même décrit sa « méthode de travail » devant le juge d'instruction, le 20 mars 2015, déposition qu'il a pour l'essentiel maintenue à la barre du tribunal.
La technique, en deux temps, était simplissime : 1. Injecter des armes de guerre dans les milieux criminels. 2. Laisser les services idoines constater les infractions, toucher la prime et bénéficier des avantages subséquents. Une manière de travailler, à l'en croire, validée par ses officiers traitants de la gendarmerie.
« Il y a deux techniques, a-t-il ainsi résumé. Soit j'avais recours à un réseau [de trafic d'armes] existant et je le déviais (…) Soit j'injectais, et c'est cette solution qui a été prise vu la qualité de la cible », en l'occurrence Samir Ladjali. Dans un autre dossier touchant au milieu des gangs de motards, même schéma : « Il m'avait été demandé par Laurent B. d'injecter des armes si on me les demandait. Mon boulot c'était d'aller solliciter les demandes...»
Les dénégations des gendarmes ont bien entendu été farouches.
Le principal officier traitant de Claude Hermant, Laurent B. en poste à la Section de Recherches de Villeneuve d'Asc a véhémentement contesté les affirmations de son ancien agent: « Nous n'avons jamais été au courant de tout ça, vous vous rendez compte ? Si on nous avait parlé de vente d'armes dans ces proportions, on aurait sauté dessus. C'était du pain béni. Notre objectif c'est de dire aux sources de ne pas provoquer d'infractions. C'est pas possible, c'est énorme ! On ne fonctionne pas comme ça chez nous. Nous n'aurions jamais autorisé l’achat d'armes, même neutralisées pour qu'il les revende dans le but d'infiltrer un trafic. Si cela avait été le cas, on aurait commencé à prendre des actes, commencer une procédure. A titre personnel, je n’aurais jamais accepté cela, je ne suis pas seul et en plus, il y a ma hiérarchie (…) On ne lui a jamais donné l'ordre d'acheter des armes.... C'est énorme ! ».
Dont acte.
Nonobstant le problème des ordres reçus de la gendarmerie, voici comment Claude Hermant a justifié la ventilation de ses importations. Outre Samir Ladjali qui aurait été le récipiendaire d'environ 80 armes, Claude Hermant a longtemps affirmé avant de se rétracter qu'il avait fourni au douanier Sébastien L. une quarantaine d'armes, en 3 livraisons, destinées à un aviseur libanais, M. Bilal Q., installé à Paris dans le milieu de l'import-export. Ces armes, démilitarisées et passées entre les mains d'Antoine Denevi (voir le détail au chapitre 3 de nos comptes rendus d’audience JIRS) étaient, d'après Claude Hermant, « destinées à la sécurisation des villages chrétiens du Nord-Liban ».
Étranges chrétiens libanais, acculés à importer depuis la France des arsenaux remilitarisés dans une région qui regorge aujourd'hui d'armes de guerre...mais passons.
Deux histoires impliquant la communauté libanaise s'entrecroisent dans le récit de la relation entre Claude Hermant et Sébastien L. Ce dernier, confronté aux accusations de celui qu'il considérait naïvement comme un ami , va affirmer qu'à cette époque -en mai juin 2014 - il avait avec Claude Hermant deux fers au feu : d'une part le règlement à l'amiable de tensions avec certains membres de la communauté chrétienne libanaise installée à Lille, d'autre part l'organisation d'une rencontre entre Claude Hermant et un libanais, monsieur Bilal.Q, « installé à Paris dans le secteur de la cosmétique ». L'idée était « de récupérer les contacts de M.Hermant en Belgique, dans le domaine de la contre-façon (...). M.Bilal Q. était un aviseur répertorié. J'étais son agent traitant. Si M.Hermant avait donné ses contacts, cela m'aurait permis de le sortir du système (…) M. Hermant n'a absolument pas plu à M. Bilal Q. et il m'a dit que, si c'était pour lui présenter des gens comme ça, il ne fallait pas que je le rappelle. » Le rendez-vous se serait très mal passé, l'aviseur de Sébastien L., à ses heures psychologue, ayant jugé que Claude Hermant était un « pervers », « une baltringue » et un « cave », fermez les guillemets.
Interpellé le 14 décembre 2015, M.Bilal Q. a confirmé la version de Sébastien L. Il s'était déplacé à Lille en juin 2014 « dans le cadre d'une affaire de tabac à chicha volé à Anvers ». Sébastien L. avait besoin de lui « pour proposer aux voleurs un coup d'achat », Claude Hermant étant le « tonton qui devait le mener à l'équipe ».
Claude Hermant de son coté, va longtemps soutenir avant de se rétracter à la barre du tribunal que la rencontre avec Bilal.Q,, avait pour objet un litige portant sur un quarantaine d'armes démilitarisées, précédemment livrées par ses soins au douanier.
Le libanais se serait plaint des difficultés rencontrées par ses hommes pour remilitariser l'arsenal et en aurait exigé le remboursement...
Concernant ensuite les tensions entre Sébastien L. et un clan libanais bien installé dans la restauration et la nuit lilloise - un réseau a priori totalement indépendant de Bilal Q. – un acteur du dossier, bien informé, nous a expliqué que le douanier avait été pris à partie, assez virilement, par un membre de la communauté libanaise, proche des milieux phalangistes et qui, semble-t-il, était décidé à reprendre la direction de la droite nationaliste révolutionnaire locale. Il aurait été demandé au fonctionnaire de lever le pied sur des enquêtes douanières impliquant des militants de l'ultra-droite, pour certains et parmi les plus célèbres, informateurs de la PJ. Un détail qui vérifie l'adage « croisez 4 militants nationalistes, vous saluerez 3 informateurs de police ».
Sébastien L. s'est alors naturellement tourné vers Claude Hermant , lequel avait obtenu « au forcing la gérance de son commerce auprès des libanais propriétaires des murs », un point que nous ont confirmé 2 sources concordantes.
Une rencontre, surveillée par la PJ, est alors organisée entre Claude Hermant, Sébastien L., accompagné de son collègue Nicolas L. et le patriarche de la communauté libanaise des Hauts-de-France, Joseph S., dit le père Joseph, un octogénaire décédé à la fin du printemps 2015. Était également présent à ce rendez-vous, l'avocat de Claude Hermant, Maître Maxime Moulin.
Nous sommes en juin-juillet 2014. Un deal aurait été passé. Le libanais renonçait à la direction de l’extrême droite locale (en cours de restructuration sur les cendres de Troisième Voie - JNR via des clubs de motards) tandis qu'un échange de bons procédés devait permettre à la douane d'obtenir des informations sur un trafic d'armes ou de stupéfiants, la préférence des douaniers allant aux stupéfiants, leur domaine de prédilection. De leur coté, les douanes auraient laissé entendre qu'elles pourraient intervenir dans le règlement de problèmes fiscaux. Maître Moulin, sollicité par le père Joseph pour des affaires de nature civile, a quant à lui refusé de révéler au tribunal le contenu des discussions auxquelles il avait participé.
Cet accord n'aurait finalement débouché sur rien de concret.
Telle est l'histoire qu'un proche du dossier nous a contée, après que nous l'ayons sollicité pour éclaircir des passages ambigus de l'Ordonnance de renvoi relatifs à ces deux événements, ambigus précisément parce que le document fusionne des récits en réalité distincts: l'histoire de M.Bilal Q., d'une part, l'histoire de La renardière d'autre part, du nom du club où s'est tenue cette réunion au sommet.
Claude Hermant a semé ici, volontairement, une confusion qui mériterait d'être démêlée, d'autant qu'il a longtemps accusé Sébastien L. d'avoir été le récipiendaire d'une quarantaine d'armes rackettées au détriment d'Antoine Denevi, armes dont la ventilation mentionnée plus haut va varier tout au long de la procédure.
Sébastien L. n'a pas été renvoyé devant la JIRS pour les faits que nous venons d'évoquer mais pour l'acquisition auprès de Claude Hermant d'une kalachnikov «destinée à la défense de ses biens et de sa famille" dans le cadre d'une démarche survivaliste, une passion commune aux deux hommes. Fidèle à lui-même, Claude Hermant avait filmé la présentation de l'arme. Un film longuement débattu devant la JIRS de Lille
Condamné en 1ère instance à 8 mois de prison avec sursis, Sébastien.L. sera acquitté en appel suite aux rétractations de Claude Hermant qui va finalement déclaré, malgré ce que suggéraient les images, n'avoir jamais livré l'arme en question.
Outre ce mensonge avéré, d'autres faits ont contribué à jeter le trouble sur des pans entiers de la procédure. Exemple sidérant: les armes destinées à Samir Ladjali étaient dissimulées avant livraison, notamment les petites pièces internes du type culasses, dans des sacs et des gants de boxe imprégnés de la transpiration des jeunes que Claude Hermant et sa femme encadraient via des associations sportives (Terre Celtique, Jeanne de Flandres). Un récit effroyable auquel nous n'aurions personnellement accordé aucun crédit s'il n'avait été confirmé par les témoignages concordants de la compagne de Claude Hermant et de Samir Ladjali.
Amar Ramdani, compagnon d'une gendarmette spécialiste du renseignement opérationnel
Ali Riza Polat n'est pas le seul inculpé des attentats du 7-9 janvier dont le parcours présente de frappantes similitudes avec les chemins tortueux de l'affaire Hermant.
Début février 2015, la presse révélait qu'un proche d'Amedy Coulibaly, impliqué dans la logistique des attentats, filait le parfait amour avec une gendarme, formatrice au renseignement opérationnel au Fort de Rosny-sous-Bois, c'est à dire le champ d'activité de Claude Hermant qui se définissait devant le juge d'instruction comme «un spécialiste freelance de l'infiltration haut de gamme.»
La justice antiterroriste suspecte Amar Ramdani d'avoir participé aux préparatifs des crimes d'Amedy Coulibaly, notamment la revente des véhicules et l'acquisition des armes.
Interrogé sur ses déplacements, Amar Ramdani a reconnu s’être rendu en novembre et décembre 2014 en compagnie de l'assaillant de l'Hyper Casher dans les villes: « [de] Reims il me semble, à Lille, à Orléans ou Rouen, je confonds toujours ces deux villes », ainsi qu'en Belgique.
Or, une singularité du dossier Claude Hermant a été très peu soulignée par les commentateurs: ce ne sont ni la police nationale, ni la gendarmerie qui ont ouvert les hostilités contre le couple Hermant-Joly le 20 janvier 2015 mais des douaniers venus de Rouen et du Havre, assistés de collègues locaux. La Direction Opérationnelle des Douanes de Rouen (DOD) était en effet entrée en possession le 19 décembre 2014 d'une information selon laquelle Claude Hermant importait des armes non démilitarisées ou partiellement démilitarisées en provenance de Slovaquie.
Détail remarquable, Amar Ramdani a ainsi énuméré devant les enquêteurs de la SDAT l'ensemble des hauts lieux de la procédure lilloise. Mais une autre coïncidence a été rappelée par l’intéressé au cours de son interrogatoire de personnalité par la Cour d'Assises spéciale le 3 septembre 2020: «J'ai été interpellé le 23 janvier 2015 parce que 1400 kilos ont été saisis dans le sud de l'Espagne avec des armes de guerre, et au milieu de tout ça une pièce d'identité, j'ai été victime d'une usurpation d'identité. Ils sont venus me chercher chez moi, j'ai pas compris. J'ai refusé d'être extradé. J'ai été incarcéré à Bois d'Arcy. Et en mars 2015, on est venu me chercher. On m'a mis en garde à vue pour les attentats.»
Amar Ramdani était en l’occurrence depuis 2013 sous le coup d'un Mandat d’arrêt européen émis par l’Espagne suite au démantèlement d'un important trafic de stupéfiants dont l'épicentre se situait à Malaga, en Andalousie.
Or, un ancien employé de la friterie du couple Hermant-Joly, Antoine Denevi, - précédemment évoqué dans le cadre de l'embrouille libanaise - a été arrêté le 13 avril 2015 à Malaga où il avait précipitamment fui peu après les attentats du 7-9 janvier.
Le jeune homme, défini par Claude Hermant comme l'un des fusibles de son trafic, avait à la mi 2014 livré aux enquêteurs lillois de nombreux détails sur les trafics d'armes et de cocaïne organisés depuis la friterie de la rue de Solferino où il avait été employé 2 mois en début d'année.
Or, une curieuse usurpation d'identité est avérée au centre du dossier JIRS, dans l'environnement immédiat de Claude Hermant et d'Antoine Denevi.
Trois mois après les événements de janvier, une relation ancienne de Claude Hermant, Christophe Dubroeucq – lui aussi informateur immatriculé de l'appareil sécuritaire local – était arrêté, le 16 avril 2015, par les douanes tchèques en possession d'armes de guerre similaires à celles utilisées le 7-9 janvier. Un arsenal qu'il avait acquis à l'aide d'une fausse pièce d'identité au nom d'Oussama Mardy (Oussama Mardy, né le 29/07/1985, à Casablanca, Maroc.)
Interrogé par les autorités tchèques, puis françaises, sur les motivations de son voyage, Christophe Dubroeucq va naïvement tenter de se retrancher, sans grands espoirs de succès, derrière les « instructions grises » de ses officiers traitants, Olivier M. (le directeur de l'enquête ouverte en 2014 contre Claude Hermant) et Philippe P., du Centre de Coopération Policière et Douanière (CCPD) de Tournai, lesquels l'auraient envoyé en Slovaquie en vue de «remonter toute la filière»...
Cet ami de 10 ans du couple Hermant-Joly s'estimant trahi était en effet devenu par ressentiment le principal témoin à charge de la procédure lilloise initiée en 2013. Immatriculé à ce titre au fichier des informateurs de la PJ aux alentours du mois d'avril 2014, il en sera radié par une fascinante coïncidence la veille des attentats le 6 janvier 2015.
Christophe Dubroeucq et Antoine Denevi passés du statut de témoins à celui d'accusés ont été tous les deux condamnés par la JIRS de Lille pour des faits similaires, bien que sans commune mesure, à ceux reprochés à leur ancien employeur.
Les éléments que nous venons d'énumérer sous une forme excessivement synthétique - il serait très long de détailler ici les relations complexes entre les différents acteurs du dossier lillois jugés en septembre 2017 - sont-ils fortuits ou relèvent-ils d'un système organisé ? Les avocats de la défense auront certainement de nombreuses questions à poser à Claude Hermant lors de son audition en qualité de simple témoin devant la Cour d'Assises Spéciale de Paris, le 29 septembre prochain.
Alexis Kropotkine, le 11 septembre 2020 pour Greffier Noir.
Pour aller plus loin, consultez nos comptes-rendus du procès Claude Hermant (JIRS de Lille septembre 2017).
A découvrir aussi
- Attentats contre Charlie Hebdo et 11 septembre 2001: Les lois Sécurité et Renseignement à l'épreuve des faits.
- Attentats du 7-9 janvier 2015 : la défense médiatique du fournisseur des armes d'Amedy Coulibaly, Claude Hermant, mise à mal.
- Affaire Claude Hermant : qui a grenouillé Abdelaziz E. ... et quelques autres ? (en flânant sur la piste des armes de Charlie Hebdo, les noyés de la Deûle)