Marie Besnard, l'enterrement du mythe de l'arsenic
Par Virginie Ikky,
le 20 juin 2010
Un siècle après Marie Capelle, le spectre des empoisonnements à l'arsenic et de l'erreur judiciaire ressurgit sur une certaine Marie Besnard, née Davaillaud, surnommée la « Bonne Dame de Loudun », une femme ordinaire soupçonnée d'avoir tué 12 personnes et victime du mythe de l'empoisonneuse. La science viendra à son secours.
Née le 15 Août 1896 à St Pierre de Maillé, dans la Vienne, Marie Davaillaud restera fille unique. En 1914, Marie s'éprend de son cousin germain, Auguste Antigny. Ses parents refuse l'union. Mais Marie s'entête et le mariage sera finalement célébré le 12 Avril 1920. La jeune mariée a alors 24 ans et le marié, 22, en paraît dix de plus en raison de sa maladie avancée. Le 11 Juillet 1927, la tuberculose emporte Auguste. Marie hérite de la somme de 7240 francs. Son chagrin est immense. Les années passent. La petite ville de Loudin n'est pas tendre avec Marie que l'on épie derrière les fenêtres. Car Marie vient de rencontrer Léon Besnard, un "vieux séducteur" comme on dit à Loudun. Léon travaille chez son père, bourrelier, mais n'a pas de salaire fixe. Les relations entre les deux hommes sont mauvaises. Marcelin Besnard n'aime pas Marie. Léon l'épousera pourtant le 12 Août 1928. Marie Antigny devient Marie Besnard.
Le 22 Août 1938, Marie Labrèche, soeur de la grand-mère de Léon Besnard, meurt à l'âge de 86 ans. Elle laisse un héritage de 60 000 francs, une somme considérable pour l'époque. Le 14 mai 1940, le père de Marie, Pierre Davaillaud, décède lui aussi. A 40 ans, Marie hérite en indivision avec sa mère de la ferme et de ses 20 hectares de terres aux Liboureaux. Marie recueille sa mère qu'elle accompagne chaque matin à l'église St Pierre de Loudun. Le 2 septembre 1940, ce sont les obsèques de Louise Labrèche, la grand-mère de Léon, morte à 92 ans. Deux mois plus tard, novembre 1940, c'est le père de Léon (Marcelin Besnard) qui décède à l'âge de 58 ans. Les commérages commencent à Loudun. Les Besnard deviennent "les meilleurs clients" des Pompes funèbres locales...Le 16 janvier 1941, le docteur Delaroche constate le décès de la mère de Léon Besnard, consécutif à une "congestion pulmonaire double". Furieuse, la soeur de Léon, Lucie, refuse toute rencontre avec son frère. Elle jure que "pas une cuillère, pas une chaise n'iront à la Marie !". Deux mois plus tard, le 27 mars 1941, Lucie se suicide par pendaison. Loudun murmure et fantasme sur l'existence d'un coffre-fort que Marcelin Besnard aurait confié à sa fille avant de mourir. La rumeur est en marche.
Le 27 février 1941, Léon et Marie Besnard permettent à Blanche Rivet, une amie de Marie, de s'installer dans une petite bicoque qu'ils viennent de lui acheter. Las ! Le 27 décembre 1941 - neuf mois plus tard, jour pour jour- Blanche s'éteint d'urémie, ayant fait de Marie Besnard sa légataire universelle par testament dressé par devant Me Demeule, Notaire à Loudun. S'ensuit un répit de trois années au cours duquel les Besnard recueillent Pauline et Virginie Lalleron, deux vieilles cousines désargentées. Les deux vielles femmes s'éteindront les 1er et 9 juillet 1945. Huit jours séparent les deux décès !
Louise Pintou fait alors irruption dans la famille Besnard. La femme travaille aux Postes. Elle est devenue la "bonne amie" de Léon Besnard et, pour mieux cacher cette relation, s'est efforcée de se concilier les bonnes grâces de Marie qui lui a cédé gracieusement la maison de la soeur de Léon dont ils ont héritée.
Le 26 octobre 1947, Léon et Marie Besnard, auxquels se joint un ami, M. Barodon, dînent à la ferme des Liboureaux, la propriété de Marie. C'est elle qui prépare le repas. Ni elle ni Barodon ne s'en trouveront incommodés. Léon décide de rentrer à Loudun. Arrivé à demeure, Léon est incommodé. Il fait bientôt un malaise. Tandis que Marie se rend chez le médecin, Louise reste auprès de Léon. Le docteur Gallois, médecin de famille, arrive aussitôt, examine Léon dont l'état s'aggrave. Le docteur Gallois diagnostique une grave crise d'urémie. Il demande l'assistance du docteur Chauvenet qui arrive quelques minutes plus tard. Malgré la présence des deux médecins, Léon poussera son dernier soupir dans la nuit. A Loudun, c'est la consternation. D'aucuns soupçonnent Marie Besnard de sorcellerie.
Le 17 octobre 1948, le château de Montpensier, propriété d'Auguste Massip est la proie des flammes. Auguste Massip dépose plainte et accuse Marie Besnard de pouvoirs maléfiques et d'avoir fait brûler son château à une centaine de kilomètres de là, alors qu'elle n'avait pas quitté Loudun. Une enquête policière est ouverte, menée par le commissaire Nocquet et l'inspecteur Normand, son adjoint. Les deux hommes concluent rapidement à l'imprudence des enfants du fermier qui jouaient, ce soir-là, avec une bougie et des allumettes.
Marie Besnard vend alors la maison qu'occupe Madame Pintou à Célestin Landré, un domestique. Le nouveau propriétaire exige le départ de l'occupante des lieux. En vain. Au début de l'année 1949 sévit une terrible épidémie de grippe. Les malades sont nombreux à décéder. Parmi eux, Marie-Louise Antigny veuve Davaillaud, la mère de Marie Besnard, qui s'éteint le 16 Janvier 1949.
Fin janvier, la maison qu'habite Madame Pintou est cambriolée. Fait étrange, rien n'est dérobé. Le rapport de gendarmerie est formel : cela ressemble davantage à une mise en scène qu'à un cambriolage. Célestin Landré révèle qu'il a mandaté un huissier pour obtenir le départ de madame Pintou. Mais les voisins se font accusateurs : Marie Besnard est responsable du cambriolage ! C'est alors qu'étrangement, l'inspecteur Normand se rend à l'autre bout de la France, dans les Alpes, où madame Pintou est en villégiature, pour l'y interroger. L'inspecteur Normand a eu vent des accusations proférées à l'encontre de Marie Besnard. Il veut rencontrer celle qui fut la maîtresse de son mari. Louise Pintou s'attaque aussitôt à Marie Besnard et lâche que Léon lui a dit que sa femme avait versé un produit dans sa soupe..L'Inspecteur Normand sait que Louise n'aime pas Marie et qu'elle cherche à lui faire du mal. Mais il s'interroge.
Le juge Roger est désigné pour instruire l'affaire. Il commence par ordonner une enquête sur la mort de Léon Besnard. Le 11 mai 1949, le corps est exhumé au cimetière de Loudun. Une autopsie est pratiquée. On remplit dix bocaux d'organes que l'on expédie à un expert agréé, le docteur Béroud de Marseille. Ce dernier dépose son rapport constatant la présence de 15 mg d'arsenic pour un kilogramme de matières. Pour les policiers, pas de doute : Léon Besnard est mort empoisonné !
Des empoisonnements dont le juge d'instruction ne tarda évidemment pas à trouver des mobiles tels que l'argent, Marie Besnard ayant naturellement directement ou indirectement recueilli par legs les biens de toutes ces personnes, ainsi que l'adultère avec Alfred Dietz, ancien prisonnier allemand au service de la famille. Marie Besnard possédait cependant une fabrique de corde prospère. Ses biens sont d'ailleurs saisis, ce qui ne permet pas à l'accusée de payer sa mise en liberté sous caution. Charles Trenet propose de la payer. Marie Besnard gagne son surnom d"empoisonneuse du siècle". Elle est inculpée pour empoisonnement, avec la circonstance aggravante de parricide et de matricide.
Le rapport d'autopsie, établi par le docteur Béroud sur la base d'analyses menées grâce à la méthode de Marsh et Gribier, conclut à des empoisonnements aigus suivant des intoxications lentes, liés à des imprégnations exogènes d'arsenic, soit en langage courant, l'introduction d'arsenic dans la nourriture des défunts.
Mais au procès, la validité de ces expertises tomba bien vite. Des erreurs dans les prélèvements sur les squelettes jetèrent le doute sur les expertises visant à évaluer le taux d'arsenic. La validité de la méthode de Marsh utilisée pour doser l'arsenic fut aussi contestée : cette méthode d'analyse, qui date de 1860. se révèle sensible, peu sélective et peu précise. Malgré cela, l'avis des experts indiquant une présence d'arsenic dans les squelettes influencera fortement les jurés
Le premier procès eut lieu à Poitiers en février 1952 et, devant le doute, le juge réclama une nouvelle exhumation des onze cadavres. Un deuxième procès débuta à Bordeaux le 15 mars 1954. Les nouvelles expertises, contrairement à celles de 1949, donnèrent un résultat jugé ambigu et Marie Besnard fut remise en liberté provisoire le 12 avril 1954. Une troisième exhumation fut alors réclamée par les juges. Si les recours sont toujours possibles en droit français pour toute expertise, il faut toutefois apporter de nouveaux éléments la justifiant. Une nouvelle méthode de recherche de l'arsenic fut cet élément nouveau.
C'est Fréderic Joliot-Curie en 1958 qui imposa pour cette troisième expertise la méthode Griffon par activation nucléaire. Cette méthode consiste à bombarder un corps avec des neutrons. Si celui-ci contient de l'arsenic, on obtient une radioactivité artificielle et sélective de l'arsenic que l'on peut mesurer avec des compteurs Geiger Muller. Cette méthode plus fiable permit de montrer une absence d'arsenic dans les squelettes. À l'issue d'un troisième et dernier procès, Marie Besnard fut enfin définitivement acquittée le 12 décembre 1961. Cet acquittement est dû en grande partie à la ténacité des deux avocats de Marie Besnard, Maitres Hayot et Favreau-Colombier. Marie Besnard est décédée le 14 février 1980 à Loudun. Pendant plus de quatre ans, il n'y a eu aucun acquéreur du Loudunois pour acheter sa demeure.
Marie Besnard fut victime d'un mythe, le mythe des empoisonnements à l'arsenic que le roman de Flaubert, Madame Bovary, a contribué à renforcer. Un mythe qui touche bien évidemment les femmes et qui conduisit à la condamnation un siècle plus tôt de Marie Capelle, un procès où déjà avait eu lieu une bataille d'expert insensée et où la rumeur avait fait son travail. Encore aujourd'hui, Marie Besnard est associée à l'arsenic par la jalousie aigue de gens des petites villes de province, capturée à merveille dans des films comme "le corbeau" ou toute l'oeuvre de Claude Chabrol. Depuis, la grande Alice Sapritch et Murielle Robin ont incarné Marie Besnard à la télévision.
Virginie IKKY pour Greffier Noir
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