Les affranchis : Henry Hill, Jimmy Burke, Paul Vario et Tommy DeSimone
Par Virginie Ikky,
Le 21 mai 2017.
En 1990, sort au cinéma « les affranchis » de Martin Scorses , un film adapté du livre de Nicholas Pileggi sur la vie d'Henry Hill, "Wise Guy".
Tous les personnages de la fiction ont existé. Henry, Paulie, Jimmy et Tommy œuvraient pour une branche de la mafia new-yorkaise, la famille Lucchese. Ils ont vécu des années glorieuses de flambe dans une relative impunité. Leur fin fut moins romanesque, et c'est la drogue, un commerce dans lequel la famille Lucchese ne voulait pas se compromettre, qui précipita leur chute.
Henry Hill Jr. est né le 11 juin 1943, d'un père irlandais et d'une mère sicilienne, dans une famille ouvrière de 9 enfants. Dès son plus jeune âge, il admire depuis sa fenêtre le mode de vie flamboyant des truands locaux notamment Paul Vario, un capo, un chef de la famille Lucchese, l'une des cinq familles de la mafia new-yorkaise, aux côtés des Bonanno, Colombo, Genovese et Gambino. La mafia américaine regroupe alors 25 familles, toutes d'origine sicilienne, les new-yorkais dominant l'organisation.
Dans les années 50, la famille la plus influente est celle des Genovese, dont le parrain Lucky Luciano s'impose comme le capo di tuti capi, littéralement le "chef de tous les chefs". Dans les années 60, domine la famille Bonanno, que des affaires de trafic de drogue vont marginaliser, avant que ne s'affirme durant la décennie suivante la famille Gambino, sous l'influence de Carlo Gambino. La famille Colombo, de son côté, a toujours été considérée comme la plus faible au sien de l'organisation. La dernière famille, les Lucchese, menée par Tommy Lucchese, prospère en investissant dans les transports routiers et le commerce de vêtements.
C’est à l’âge de 11 ans qu’Henry Hill démarre des petits boulots pour les clients des commerces de Paul Vario, l'associé des Lucchese. Deux ans plus tard, en 1956, il rencontre James Burke, alias "Jimmy the Gent". Ce dernier, né en 1931, est d'ascendance irlandaise et a démarré sa carrière de délinquant dans la contrebande d'alcool et de cigarettes durant les années 50 pour ensuite s'associer à Paul Vario. Mais comme Henry, ses origines irlandaises lui ôtent toute possibilité de s'élever dans la hiérarchie de la famille, où il a le simple statut d'associé, le grade le plus bas.
Le frère cadet de Paul Vario, Vito "Tuddy" Vario, et son frère aîné, Lenny Vario, présentent Henry Hill à un puissant syndicat du bâtiment. Hill devient un "no show", sorte d’emploi fictif imposé par la mafia aux entrepreneurs en bâtiment, lui octroyant un salaire hebdomadaire de 190 $, en échange de quelques basses besognes. Hill ne reçoit qu’une partie de son salaire, capté par les Vario, mais ce travail lui permet tout de même de quitter l’école et de percevoir un revenu supérieur au salaire de l'ouvrier de base. Comme dans le film de Scorcese, la première arrestation d’Henry Hill à l’âge de 16 ans lui fait gagner le respect de ses pairs, particulièrement de Jimmy Burke.
Le film, en revanche, occulte complètement la période militaire d’Henry Hill.
En juin 1960, ce dernier rejoint en effet l'armée et intègre la 82e division aéroportée à Fort Bragg, en Caroline du Nord. Selon Hill, cité par le livre Wise Guy, cet intermède militaire était délibéré : les investigations du FBI sur la réunion d’Apalachin de 1957 avaient entrainé une enquête du Sénat sur le crime organisé, et ses liens avec les entreprises et les syndicats.
Cette réunion secrète des principaux chefs mafieux dans une résidence privée d’Apalachin avait été découverte de façon rocambolesque par le sergent Edgar Croswell, qui en passant devant une villa, le 14 novembre 1957, avait remarqué un curieux aréopage d'hommes en costume et de voitures luxueuses.
Intrigué, le policier avait établi un barrage sur la route, et arrêté rien de moins que la voiture conduisant Vito Genovese, le parrain de la famille du même nom. Ce dernier avait convié ses homologues chez Joseph Barbara en vue de se faire introniser capo di tutti capi. Joseph Bonanno, Carlo Gambino, Sam Giancana et Santo Trafficante, entre autres, étaient présents. Vito Genovese identifié, le policier avait donné l’alerte, entrainant la débandade humiliante des parrains, certains tentant la fuite en voiture, tandis que d’autres partaient à pied en courant dans les champs et vers la forêt.
En tout, 65 gangsters furent arrêtés parmi lesquels Vito Genovese, Carlo Gambino, Joe Bonanno mais aussi Santo Trafficante, Jr., le boss de la Floride. Ces arrestations retentissantes forcèrent par ailleurs le patron du FBI, J. Edgar Hoover, à admettre la réalité du crime organisé, dont il niait fermement l'existence. A l'époque, l'obsession du directeur du FBI était l'ennemi communiste, l'essentiel des ressources du bureau étant consacrées à la chasse aux sorcières. L'usage même du mot mafia était proscrit chez les fédéraux. La rumeur voulait que la mafia était en possession d'informations compromettantes sur la sexualité d'Hoover et le faisait chanter. Les arrestations d'Apalachin vont redistribuer les cartes et aboutir à la publication d'une liste de près de 5000 noms des membres et associés du crime organisé.
Durant ses trois années d’engagement militaire, Henry Hill maintient des contacts avec la mafia, tout en continuant ses trafics. En 1963, il revient vivre à New York et démarre son ascension auprès de Jimmy Burke.
C’est en 1965 qu’Henry Hill fait la connaissance de Tommy DeSimone. Dépeint dans le film de Scorcese comme un homme impulsif et violent, il semble que le vrai personnage ait été encore plus incontrôlable que son double à l’écran, incarné par Joe Pesci. Grand consommateur de cocaïne et amateur de sensations fortes, Tommy est décrit comme un psychopathe par Henry Hill. D'après le livre de Pileggi, Tommy s'est dévoué à la famille Lucchese pour racheter l'honneur des siens, sali par son propre frère devenu informateur des fédéraux.
L'équipe de Vario détourne des marchandises de l'aéroport international JFK, qui est alors la source principale de détournement de fret de la mafia new-yorkaise. Vario use de son influence sur le syndicat des entrepreneurs du fret aérien pour menacer l'aéroport de grèves interminables dès qu'une enquête gouvernementale se profile. Il contrôle les paris et jeux clandestins dans le quartier de East New York à Brooklyn. Quiconque souhaite se lancer dans la partie doit lui rétrocéder un pourcentage des gains en échange d’une protection.
Décrit comme un patriarche sévère mais juste dans le film de Scorcese, le vrai Paul Vario est en réalité un personnage moins magnanime, qui n'hésite pas à employer lui-même la violence et se sert de son impressionnant physique pour faire régner la peur. Il possède pour couvrir ses activités un certain nombre d'affaires légitimes dont un restaurant, une pizzeria appelée Pizzeria Presto et une station de taxi. Au sommet de son règne, il gagne environ 25 000 $ par jour grâce aux seuls rackets.
Burke est quant à lui propriétaire d'un bar à South Ozone Park, dans le Queens, lequel selon Henry Hill sert de cimetière privé, plus d'une douzaine de personnes étant enterrées dans et autour du bar. Burke possède également un atelier de fabrication de robes dans South Ozone Park, appelé « Moo Moo Vedda ». Il fait preuve lui aussi d’une grande brutalité dans ses opérations de racket, n’hésitant pas à menacer de s’en prendre aux enfants de ses victimes.
Le 11 juin 1970, a lieu l’exécution de William Bentvena alias "Billy Batts", membre éminent de la famille Gambino, par Tommy DeSimone, l'un des points culminants du film de Scorcese. A la lecture de la version qu'en donne Henry Hill, Martin Scorcese a bien retranscrit la réalité d'un meurtre survenu en raison du tempérament ombrageux de Tommy, qui n'aurait pas supporté de s'entendre demander par Billy Batts de lui "cirer les pompes". En revanche, le vrai Tommy DeSimone n'a sans doute pas été assassiné quelques années plus tard en représailles à la mort de Billy Batts, comme le raconte le film. Quoique la disparition de Tommy DeSimone demeure mystérieuse, il est probable qu'il ait été éliminé en 1979 suite au holdup de la Lufthansa (voir infra).
En 1972, Jimmy Burke et Henry Hill sont arrêtés après le tabassage de Gaspar Ciaccio à Tampa, en Floride, pour une dette de jeu envers leur ami, le patron du syndicat Casey Rosado. Ce genre de méfait menait à cette époque très rarement les mafieux en prison mais Henry Hill et Jimmy Burke ignoraient que la sœur de leur victime était une dactylo du FBI. Ils sont accusés d'extorsion, reconnus coupables et condamnés chacun à 10 ans d'incarcération dans une prison fédérale, une peine déterminante pour la suite.
Déterminante car Henry Hill découvre derrière les barreaux un nouveau moyen lucratif de s'enrichir : la drogue, et se fait les connexions nécessaires pour démarrer son propre réseau. Simple associé de la mafia, Henry Hill ne pouvait espérer que les Lucchese s'occupent de sa femme et ses deux enfants pendant son incarcération et il assiste impuissant à l'appauvrissement de sa famille. A sa sortie de prison, il démarre un business de revente en gros sans abandonner pour autant les activités criminelles traditionnelles de la mafia. Il est en effet inconcevable d'afficher ses nouvelles sources de revenus auprès des Vario, foncièrement opposés au trafic de drogue.
Le 11 décembre 1978, Henry Hill et Jimmy Burke commettent leur fait d'armes le plus retentissant : le holdup de la compagnie aérienne Lufthansa. C'est Marty Krugman, le vendeur de postiches du film de Scorcese, qui a refilé le tuyau à Henry Hill : une fois par mois, les dollars changés en RFA par les touristes et militaires sont réexpédiés aux Etats-Unis et entreposés dans un hangar. Marty tenait lui-même cette info de Louis Werner, contrôleur de fret, qui avait accumulé des dettes de jeux auprès de son entreprise de paris clandestins. Le butin s'annonce somptueux. Seule ombre au tableau : Jimmy Burke hait Marty Krugman. Il accepte néanmoins de mettre de l'eau dans son vin et s'attèle à l'organisation du vol de la cargaison, d'une valeur de 6 millions de dollars en argent et bijoux. Le principal obstacle est un garde mais ils découvrent que celui-ci a un fort penchant pour les femmes. Un soir d’ivresse, le garde, en possession des clefs du coffre, est emmené dans un motel, où une prostituée l’attend. Profitant de son inattention, ils prennent le trousseau de clés, en font des copies, puis les replacent, le tout à son insu. Le territoire de l’aéroport étant partagé entre les familles Gambino et Lucchese, la permission de commettre le holdup est demandée et accordée par le capo de la famille Gambino qui contrôle la zone, John Gotti.
Le vol a lieu aux premières heures du 11 décembre 1978.
Les hommes arrivent à bord de plusieurs véhicules au terminal de fret de la Lufthansa à 03h00. Trois truands sortent d'une camionnette, entrent dans le bâtiment et rassemblent les 10 employés sous la menace. Et s'ils repartent effectivement avec les 6 millions de $, ils n'en profitent guère longtemps. En effet, Stacks, qui était chargé d'emmener le camion et les preuves à la casse, a un peu trop arrosé l'opération et a abandonné le véhicule, rapidement découvert par la Police, à moins de 3 km de l'aéroport. En représailles, Stacks sera exécuté, bientôt rejoint dans la tombe par Marty Krugman, qui avait osé réclamer sa part à Jimmy Burke.
En parallèle du braquage de la Lufthansa, le principal business d’Henry Hill reste la revente en gros de marijuana, cocaïne, héroïne, et quaaludes. Henry Hill a associé Burke à l’affaire, passant outre l'interdiction faite à ses membres par la famille Lucchese de s'adonner au trafic de drogue. Cette interdit vient du fait que les peines de prison encourues, particulièrement élevées en matière de stupéfiants, incitent bien souvent l'accusé à devenir informateur. Dans les années 70, pour une substance comme la cocaïne, à la première infraction et pour une quantité supérieure à 50g, l’accusé risquait la perpétuité, la peine plancher étant de 10 ans.
C'est une jeune mule du réseau qui va dénoncer aux détectives des narcotiques Daniel Mann et William Broder les trafics d’Henry Hill. Celui-ci est immédiatement placé sous surveillance et sur écoute.
Il est arrêté le 27 avril 1980 pour trafic de stupéfiants. Si pénalement il risque gros, la situation vis-à-vis de ses associés n'est pas meilleure. Engagé dans un trafic de drogues dans le dos des Varios, il pourrait tout aussi bien être éliminé par Jimmy Burke son associé dans l’affaire de la Lufthansa, qui a déjà assassiné plusieurs personnes impliquées dans le braquage. L'épouse de Hill se plaint des appels téléphoniques de la femme de Jimmy qui cherche à déterminer ce que Henry Hill dit ou non aux enquêteurs.
Acculé, Henry Hill accepte de devenir informateur et signe le 27 mai 1980 un accord avec le ministère de la Justice et l'Organized Crime Strike Force. Il accepte de témoigner contre ses anciens partenaires afin d'éviter un long séjour en prison, en échange d'une nouvelle identité pour lui et sa famille. Son témoignage a conduit à une cinquantaine d'arrestations suivies de condamnations.
Jimmy Burke sera condamné à 20 ans de prison pour le scandale des paris truqués sur les matchs de basket-ball du Boston College. Il sera également condamné à la prison à vie pour l'assassinat d’un copiste, Richard Eaton.
Burke est mort d'un cancer du poumon le 13 avril 1996, à l'âge de 64 ans.
Paul Vario sera condamné à quatre ans de prison pour avoir aider Henry Hill à obtenir un emploi no-show. Il sera également condamné à dix ans de prison pour l'extorsion de compagnies de fret aérien à l'aéroport JFK.
Vario est mort d'une insuffisance respiratoire, le 22 novembre 1988 à la prison fédérale de Fort Worth, à l'âge de 73 ans.
Tommy DeSimone sera déclaré mort par le FBI en 1990. Il a probablement été assassiné en janvier 1979, date à laquelle il n'a plus donné signe de vie.
Henry Hill, sa femme Karen, et leurs deux enfants, Gregg et Gina, sont entrés dans le programme de protection des témoins des US marshalls en 1980. Ils ont changé de noms, et ont déménagé successivement à Omaha, Independence, Redmond et Seattle.
Lorsqu'à Seattle, Henry Hill révèle accidentellement sa véritable identité sous l’effet d'une combinaison d'alcool et de drogues lors d'une soirée chez des voisins, les marshalls le déménagent à Sarasota, en Floride où quelques mois plus tard Henry Hill va réitérer la même infraction aux règles de sécurité, amenant le gouvernement à l'expulser du programme fédéral de protection des témoins au début des années 90.
Il divorce de son épouse en 1989.
Henry Hill refait parler de lui dans les années 2000 dans le cadre d'affaires de stupéfiants mineures pour lesquelles il bénéficie d’une relative clémence. Il est ainsi arrêté à North Platte, Nebraska, en mars 2005 après avoir abandonné à l’aéroport des bagages contenant un attirail de fabrications de drogue, entre autres des tubes de verre contenant des résidus de cocaïne et de méthamphétamine. En septembre 2005, il est condamné à 180 jours de prison pour tentative de possession de méthamphétamine. 3 ans et demi plus tard, le 26 mars 2009, Hill est condamné à une peine de deux ans de probation. Enfin, le 14 décembre 2009, il est arrêté à Fairview Heights, en Illinois, pour conduite en état d'ivresse et rébellion.
Henry Hill finit ses jours à Topanga Canyon, en Californie, avec sa fiancée italo-américaine, Lisa Caserta. Ils ont participé à plusieurs documentaires sur la mafia et ont fait des apparitions publiques dans des programmes comme The Howard Stern Show.
Henry Hill est mort de mort naturelle le 12 juin 2012.
Interrogé à la fin de sa vie sur son passé, Henry Hill éprouvait manifestement une intense nostalgie : "on rentrait quelque part et tout s'arrêtait. Tout le monde savait qui on était, et on nous traitait comme des stars de cinéma. (..) J'avais des sacs en papier pleins de bijoux cachés dans la cuisine et un sucrier plein de coke près de mon lit. (...) Maintenant c'est fini tout ça. Il faut que je vive le reste de ma vie comme un cave."
La mafia, bien que décimée, reste encore aujourd'hui active sur le territoire américain. Le blog wiseguy est une mine d'informations pour ceux désireux de s'informer sur l'histoire et l'actualité de la mafia américaine. Le visionnage du film de Scorsese reste un must pour entrevoir les codes et coutumes du crime organisé, tout en gardant à l'esprit que ce film ne reflète qu'une infime partie de la violence réelle des affranchis.
Virginie IKKY, le 21 mai 2017, pour Greffier Noir
Sources :
1°) Les 5 familles de la mafia italo-américaine
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