Kaspar Hauser, l'enfant des rues de Nuremberg
Par Virginie Ikky,
Le 12 juillet 2012
Toutes les monarchies européennes ont leur mythe du bâtard caché. En France, il y a l'homme au masque de fer, jumeau de Louis XIV, et en Allemagne il y a Kaspar Hauser, au croisement du bâtard et du mythe de l'enfant sauvage. Il surgit de nul part le 26 mai 1828 dans une rue de Nuremberg, épuisé, titubant, gesticulant et grognant de façon incompréhensible ... deux artisans discutant à la Place du Suif voient apparaître un jeune garçon étrange. L'adolescent est mal vêtu et sa démarche laisse croire qu'il est ivre, ou complètement idiot. Il tend aux deux compagnons une lettre adressée à Monsieur le capitaine commandant le 4e escadron du régiment des chevaux-légers.
La lettre précisait que le père de Kaspar aurait appartenu à ce régiment et un autre billet, joint à la lettre, le déclarait né le 30 avril 1812. Le premier des deux messages aurait soi-disant été écrit par l'homme qui a élevé Kaspar Hauser :« Ce garçon m'a été confié en 1812, le 7 octobre, et je suis moi même un pauvre journalier, j'ai moi-même dix enfants, j'ai moi-même assez de peine à me tirer d'affaire, et sa mère m'a confié l'enfant pour son éducation ».
Quant au second billet, il serait de la mère de Kaspar Hauser. C'est ce second billet qui fournit la date de naissance du jeune homme et contient une requête :« Si vous l'élevez, son père a été un chevau-léger. Quand il aura 17 ans, envoyez-le à Nuremberg au 6e régiment de Schowilsche. Là aussi son père a été. »
La lettre crée un mystère immédiat autour des origines de Kaspar Hauser. Cependant le capitaine de la cavalerie remarque que les deux billets sont écrits d'une même main. Flairant l'arnaque, il envoie l'adolescent sous les verrous. Le séjour de Kaspar Hauser dans la prison de Nuremberg permet au geôlier d'observer attentivement le jeune homme. Celui-ci a une allure enfantine. Il n'est pas paysan car ses mains roses n'ont manifestement pas travaillé la terre. Il est pauvre, maladroit et semble peu intelligent. Il sait toutefois écrire son nom. En prison, il ne mange que du pain et de l'eau et ne démontre aucune pudeur.
Intrigué, le maire de la ville prend en charge le jeune homme et va faire son éducation. Peu à peu, celui-ci retrouve la parole et peut enfin raconter son histoire. Il a passé toute sa vie emprisonné, nourri par un « homme noir » qu'il ne voyait que furtivement. Il a appris à écrire son nom et à dire « je veux être chevau-léger comme mon père » peu avant avoir été abandonné sur la route de Nuremberg.
Cette histoire surprenante fait rapidement le tour de la ville et fait couler beaucoup d'encre. Immédiatement, Kaspar Hauser devient l'objet de la curiosité. Il est l'orphelin de l'Europe, pour reprendre le titre d'un ouvrage qu'Octave Aubry lui a dédié. Le maire de Nuremberg confie alors Kaspar au docteur Daumer, qui a pour mission d'instruire l'adolescent. C'est chez lui que se produira le premier incident étrange qui marque la vie publique de Kaspar. En effet, le jeune homme est trouvé, le 17 octobre 1828, inanimé, une blessure au front. Il prétend avoir été attaqué par un « homme noir ».
Kaspar est rapidement changé de famille. Il emménage chez le conseiller municipal de Biherbach. Une enquête policière est ouverte mais ne débouchera pas. Elle déclenche cependant les rumeurs les plus folles sur les origines de Kaspar. S'il est attaqué, c'est qu'on cherche à se débarrasser d'un héritier gênant. Le mythe de la naissance noble de l'adolescent se développe .
On dit que le jeune homme appartient à la famille royale de Bade. Il serait le fils de la duchesse Stéphanie de Beauharnais, nièce de l'impératrice Joséphine et mariée au prince Charles de Bade, dont le bébé est soi-disant mort en 1812, l'année même où Kaspar a été recueilli par « l'homme noir ». Or, Stéphanie est en butte à l'hostilité de Louise Geyer de Geyersberg, comtesse de Hochberg, seconde épouse du grand-duc Charles-Frédéric de Bade, grand-père de Charles et qui aimerait que la succession au trône soit assurée à ses propres enfants. Une histoire sordide entoure la mort de l'héritier de la famille de Bade : l'enfant de la duchesse était l'héritier légitime du duché de Bade. Cependant, sa disparition permettait à la comtesse de Hochberg d'accéder au trône. Plusieurs ont prétendu que la comtesse était derrière le décès inexplicable du nouveau-né. Elle aurait substitué le bébé par l'enfant, mort, d'une paysanne. L'héritier de la couronne aurait alors été confié à un soldat qui avait la charge de sa captivité.
Stéphanie se persuade que, la nuit où son enfant a été donné pour mort, la comtesse de Hochberg l'aurait enlevé pour lui substituer l'enfant d'un de ses ouvriers, que l'on aurait drogué à l'en faire mourir. Elle se rend secrètement à Ansbach pour y apercevoir Kaspar et en revient persuadée qu'il est bien son fils. Tout dans l'histoire de Kaspar Hauser permet de croire qu'il est l'héritier du duché de Bade. À la mort du duc Karl, en 1830, la rumeur se fait de plus en plus insistante.
C'est un mois plus tard, le 3 avril 1830, que surgit un nouveau drame. Une fois de plus, Kaspar est attaqué, au fusil cette fois-ci. On accuse les mercenaires de la comtesse de Hochberg d'être derrière cet attentat. Une enquête est entamée, cependant sans résultats probants. Les policiers eux croient à une simulation et suggèrent que l'adolescent aurait retourné l'arme vers lui . À la suite de cet événement mystérieux, le garçon change de famille pour la troisième fois. Il se retrouve chez le baron Von Tucher.
Kaspar y reste peu de temps. En effet, le comte de Stanhorpe, un anglais, est intrigué par l'histoire mystérieuse du jeune garçon. Il le prend alors sous sa protection et le questionne sur ses origines. Le comte en arrive à la conclusion que l'adolescent est hongrois et qu'il n'est pas le descendant de la maison de Bade.
Malgré tout, une enquête est alors menée, à la demande du roi de Bavière, par un des plus fins limiers de l'époque, Anselm Ritter von Fueurbach. Le détective croit à la sincérité du jeune orphelin et à l'histoire de sa captivité mystérieuse. C'est pourquoi il atteste la thèse d'une descendance noble. Il prétend que c'est par intérêt que la comtesse Hochberg a enlevé Kaspar et l'a écarté du trône de Bade. Chose étrange : le criminaliste meurt empoisonné moins d'un an après la fin de son enquête. On prétend qu'il avait trouvé une preuve démontrant de façon infaillible le complot monté contre Kaspar Hauser. Les rumeurs persistent, mais l'affaire n'est toujours pas résolue.
Cette même année 1833, Kaspar est victime d'un troisième attentat. Fatigué de sa vie de mondain, d'objet de curiosité, il est retourné à une vie plus simple dans la petite ville d'Ansbach où il coule une existence paisible. Kaspar entraîne un voisin dans un parc. Cherchant quelque chose, éloigné de son compagnon, Kaspar y est attaqué. Un « homme noir » lui plante profondément un couteau dans la poitrine et au coeur. Kaspar en meurt quelques jours plus tard. Sur son lit de mort, il murmure quelques mots qui nourrissent la mystère de son identité : « J'ai demandé pardon à tous les gens que je connais. Pourquoi ne serais-je pas tranquille? Pourquoi aurais-je de la haine ou de la colère? Personne ne m'a rien fait ».
Le destin fabuleux de ce jeune homme simple s'est conclu de façon tragique. Au cours des années qui suivirent, cette affaire non-résolue a suscité l'intérêt d'un grand nombre hommes et femmes. En effet, historiens, journalistes, chanteurs, auteurs dramatiques et même danseurs ont depuis tenté de percer le mystère de l'identité et de la mort de Kaspar Hauser.
Le déchiffrage de l'ADN a relancé l'affaire ces dernières années. Une recherche d'ADN réalisée en 1996, financée par l'hebdomadaire Der Spiegel, et comparant l'ADN de Kaspar qui aurait été prélevé sur la chemise qu'il portait le jour de son assassinat, avec celui de deux descendantes de la Maison de Bade, n'a pas révélé la moindre similitude.
En 2002 toutefois, des analyses de l'ADN prélevés sur six cheveux de Kaspar Hauser et réalisées à l'Institut de médecine légale de Münster sous la direction du Pr. B. Brinkmann, ont abouti à des résultats positifs. Ces résultats demeurent contestés, compte tenu du risque de contamination des cheveux en question, à un siècle d'écart. La Maison princière de Bade s'est toujours refusée à laisser analyser les ossements du fils de Charles et Stéphanie de Bade.
La découverte d'un cachot secret a également réjoui ceux qui croient à l'origine noble de l'adolescent. Ce cachot a été découvert à la suite du percement d'un mur dans les communs du château de Beuggen (près de Rheinfelden), le 11 août 2000 ; on y a trouvé sur une poutre le dessin au crayon d'un cheval, ce par quoi il faut conclure à la présence d'un prisonnier autrefois. Le style d'aménagement du cachot (et la référence à la figuration du cheval) présente des analogies frappantes avec le cachot découvert au château de Pilsach (près de Nuremberg), appelé aujourd'hui « Château Kaspar Hauser ».
Il faut par ailleurs noter que, de son vivant, Kaspar a dessiné des armoiries qu'il aurait vues de ses yeux ; or, ces mêmes armoiries figurent sur les portes du château de Beuggen. Il a également été évoqué le fait que Kaspar Hauser ait été le fruit d'une expérience cruelle. Une question qui agita beaucoup le XVIIIe et le XIXe siècle était de savoir si un enfant éloigné de tout contact humain développerait ou non une sorte de langage, et quelle serait en ce cas la langue primale qui se dégagerait ainsi. Une issue peu romanesque.
Virginie IKKY pour Greffier Noir
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