Le Greffier Noir, enquêtes et faits divers.

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Guy DESNOYERS, le curé d'Uruffe sauvé par son église



Par Virginie Ikky,

 

Le 24 juillet 2009
 

Le double crime du curé d'Uruffe, qui aurait certainement valu la peine de mort au français moyen, ne saurait mieux illustrer le pouvoir de l'Eglise dans une France pourtant laïque depuis le début du siècle dernier. Il était pourtant un simple et modeste curé de campagne. Plus insignifiants encore devaient être sa pauvre victime et l'enfant à naître aux yeux de l'Eglise pour qu'elle use de son influence dans une affaire criminelle aussi répugnante.

 

Guy Desnoyers est né en 1920 à Haplemont, un petit hameau du Saintois en Lorraine. Il était l'aîné d'une famille paysanne propriétaire de 80 hectares de terres, un milieu plutôt aisé et très pieux, où il fut promis très jeune à la prêtrise par sa grand-mère maternelle, la personnalité dominante du clan. Petit puis grand séminaire à Bosserville et Villers-lès-Nancy : ses pairs émettent des doutes sur le sérieux de sa vocation et ses aspirations intellectuelles. La deuxième guerre mondiale l'envoie au S.T.O. à l'usine de Neuves-Maisons. Après le conflit, il est ordonné prêtre.

Guy Desnoyers avait vraisemblablement une vocation toute relative, appréciant non pas le mysticisme et le sacerdoce de la fonction, mais le rayonnement et le prestige d'un curé de village. Il est affecté à Blâmont comme vicaire. Son supérieur, l'abbé Klein, ne voit pas d'un bon oeil l'arrivée de ce jeune homme plus prompt à jouer au basket qu'à approfondir sa foi par la lecture. Guy Desnoyers ne tarde pas à avoir une première liaison avec une femme. Le curé la « dévoie » avant son mariage et lui adresse le sermon d'usage quand il l'unie à un soldat. Il la fréquente encore quand le soldat est absent du foyer. Il est muté autoritairement à Rehon, dans le nord industriel de la Meurthe-et-Moselle, où on lui prêtera d'autres aventures féminines, notamment avec une veuve fortunée.

cure-duruffe-L-1.jpegEn juillet 1950, il est nommé curé de la paroisse d'Uruffe. Il se dépense sans compter pour distraire la jeunesse par le cinéma, le théâtre, et les excursions. Si les vieilles gens du village trouvent ce prêtre bien singulier, les jeunes en revanche le dépeignent comme accessible et surtout "moderne". Mais, en décembre 1953, Uruffe commence à bruisser d'une rumeur : le curé aurait mis enceinte une jeune fille de 16 ans.

Guy Desnoyers a en effet des relations avec plusieurs femmes de la région et, en 1953, il conçoit un enfant avec une adolescente âgée de quinze ans, Michèle Léonard. Il persuade Michèle d'accoucher clandestinement et d'abandonner son enfant, pour éviter le scandale. Pour expliquer son état, la jeune fille dit faire une anémie graisseuse. Guy emmène l'adolescente dans l'Ain pour accoucher et abandonner cet enfant du péché. L'évêque de Nancy, Monseigneur Lallier, est alerté par des lettres anonymes. Il rend visite à son curé qui lui ment, se jette à ses genoux et proteste de son innocence. Le curé accuse un jeune homme des environs. Le prélat sort ébranlé de cette entrevue mais renouvelle sa confiance au prêtre.

 

Une nouvelle jeune fille, Régine Fays, va tomber sous le charme de ce beau parleur. Comme la précédente, elle fréquente la chorale et le cours de théâtre animé par le prêtre. Elle n'a que 18 ans et travaille comme ouvrière à la verrerie de Vannes-le-Châtel. Ses parents accueillent volontiers le bon curé lors de dîners les week-ends, sans se douter de rien.

Quand les parents découvrent la grossesse, Desnoyers persuade le père de Régine que l'amant de la jeune femme est un jeune homme du cru, parti pour la guerre d'Algérie. Régine promet de garder le secret de la paternité de l'enfant mais refuse d'accoucher clandestinement. Ses parents acceptent l'enfant qui va naître sans poser de questions, eux non plus. Desnoyers leur avait conseillé de ne pas questionner la jeune femme sur le père, un garçon peu recommandable qu'il fallait mieux oublier. Mais Desnoyers, à l'approche du terme, redoute de nouvelles dénonciations auprès de l'Évêché. Il a peur que l'enfant ne lui ressemble et devient obsédé par le possible scandale.

Le 3 décembre 1956, peu avant la date prévue pour l'accouchement, Guy Desnoyers bascule. Le prêtre entraîne Régine dans la soirée du 3 décembre sur la petite route déserte de Pagny-la-Blanche-Côte. A deux reprises, il lui propose de lui donner l'absolution. Étonnée par cette proposition, elle refuse et s'éloigne à pied. Guy Desnoyers la suit à deux pas, un revolver 6,35 à la main. Dans la nuit noire, il tend le bras vers la nuque de la jeune femme et tire à trois reprises. La victime s'écroule, tuée sur le coup. Le prêtre sort alors un couteau avec lequel il va pratiquer une césarienne afin d'extraire l'enfant, "une petite fille née viable" souligneront les experts. Il la baptise, la tue et s'acharne sur le visage du petit être avant de pousser la mère et l'enfant dans un fossé. Contacté par les parents inquiets de ne pas savoir où est leur fille sur le point d'accoucher, le prêtre participera aux recherches.

Très vite, l'amie de Régine, Michèle, confie que cette dernière lui avait appris que le curé était le père de son enfant. Le curé nie avec véhémence. Cependant, un gendarme a retrouvé une douille d'un calibre 6.35, calibre pour lequel il a obtenu un  permis de port d'arme. Le 5 décembre, il finit par avouer son crime, sans plus d'émotions.


Collectif-Crimes-Et-Chatiments-N-16-Le-Double-Crime-Du-Cure-D-uruffe-Revue-847538579_ML.jpgL'affaire fait évidemment grand bruit et l'Eglise organise des cérémonies expiatoires pour racheter les crimes du prêtre. Ce dernier pose problème à l'administration pénitentiaire. On l'inscrit sous un faux nom dans la prison et toute personne l'approchant est fouillée. L'aura de crime satanique planait au-dessus de ce crime hors-norme. En outre, quel que soit son crime, Guy Desnoyers restait prêtre aux yeux du droit canon, pour lequel un  prêtre ne peut être suspendu a divinis que dans deux cas : s'il est révolté contre le dogme ou contre l'autorité de l'église.

Le procès s'ouvre à Nancy en janvier 1958. Un chroniqueur décrit Desnoyers : "Bien plus que le repentir, c'est la peur, l'angoisse que reflète son visage osseux, aux grandes oreilles décollées, aux yeux fuyants qui, derrière les lunettes, semblent ne pas pouvoir regarder en face. Grand maigre, pauvrement vêtu d'un costume noir dont les revers se croisent très haut, comme ceux d'une soutane, sans cravate, le col de sa chemise blanche bâillant, en sandales, Desnoyers serre convulsivement dans sa main droite un petit crucifix que sa paume dissimule presque entièrement."


desnoyers reconstitution.jpgAux questions qui lui furent posées par le président, l'accusé répondit par monosyllabes. De sa vie privée, le président dira à la fin du procès: "Ce fut une vie marquée de la plus vulgaire lubricité." On apprit, notamment, au cours du procès, les multiples mensonges de ce prêtre déchu et le fait qu'il acceptait même de l'argent de ses maîtresses "pour ses bonnes oeuvres". Le premier témoin entendu fut Madame Fays. Elle employait encore les mots "M. l'abbé" en parlant de l'accusé qui, dit-elle, s'acharna à lui faire croire que le père de la fillette de Régine était un soldat de Rehon. Durant ce témoignage, Desnoyers éleva subitement la voix pour dire: "Depuis quatorze mois, je n'ai pas passé un seul jour sans prier pour Régine." Et Madame Fays avec véhémence lui lança: "Et moi? Combien j'en passe et combien j'en ai encore à passer!"

Le procureur dans son réquisitoire réclama la peine de mort : "Je ne sais si ce Dieu que vous avez ignominieusement servi aura pitié de vous à l'heure, peut-être proche, de votre mort. Moi, je ne connais que la justice des hommes et je sais qu'elle ne peut vous pardonner." Ce à quoi l'avocat de Desnoyers répondit : "Je vous demanderai de ne pas le faire mourir. Ce droit n'appartient à personne. La loi permet de punir sans faire mourir." Les jurés en compagnie du président du tribunal et de ses deux assesseurs délibérèrent durant une heure et 40 minutes avant de revenir avec un verdict de culpabilité et une peine de bagne à perpétuité pour le prêtre.

Pourquoi la peine de mort a-t-elle été épargnée au curé d'Uruffe ? Des pressions auraient été exercées sur les jurés lors des délibérations.  Le Président de la Cour d'Assises auraient réuni les jurés pour leur demander d'accorder les circonstances atténuantes au curé. René Coty, le Président du Conseil, serait intervenu, afin de préserver les relations avec le Vatican. C'est le fils d'un ancien juré qui a révélé cette affaire à Jean-François Colisimo, un écrivain qui préparait un livre sur l'affaire. Par ailleurs, guillotiner un prêtre renvoyait aux pires heures de l'histoire française, quand la France était coupée en deux, partagée entre les anticléricaux et les partisans de l'église catholique.

Le curé d'Uruffe est libéré en août 1978. Il se retire ensuite dans un monastère en Bretagne. On perd la trace du prêtre, protégé par l'Eglise pendant des années, jusqu'à son décès le 21 avril 2010.

 

Virginie IKKY pour Greffier Noir



24/07/2009
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